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que l’on m’a chargé d’un nouvel emploi, mais bien plus important et plus intéressant que le premier, et qui surtout me rattache tout naturellement à mon état militaire. Voici le fait : le duc de Rovigo était parti, et avec lui son secrétaire particulier et un autre individu qui remplissait près de lui des fonctions analogues à celles de secrétaire. Ces deux hommes avaient dans les mains la direction d’un bureau, dit cabinet arabe, où se traitaient, sous les yeux du duc, qui n’y voyait rien, toutes les affaires diplomatiques avec les gens du pays, c’est-à-dire avec tous les Arabes de l’intérieur, avec ceux de Bougie et des divers points importans de la côte, enfin avec ceux qui environnent Constantine. En présence de gens qui n’entendaient pas l’arabe, les interprètes avaient beau jeu ; aussi tout allait à la diable ; ces derniers s’étaient même trouvés, depuis le départ du duc, avoir la haute main sur tout ce qui se faisait. Le général Trézel et le commandant en chef par intérim, sentant que les choses ne pouvaient continuer ainsi, me proposèrent de me charger d’établir un bureau arabe, en régularisant ce qui se faisait avant et en organisant d’une manière convenable le service des relations extérieures. On me donnait sous mes ordres quatre interprètes et secrétaires, et tous les employés indigènes dont on s’était servi jusqu’alors. On me confiait en outre l’administration des fonds secrets, qui montent à soixante mille francs par an. J’acceptai sans hésiter cette charge et je suis aujourd’hui établi comme chef du bureau arabe ; en cette qualité, on m’a donné un beau local dans une dépendance de la maison du général en chef, et c’est là que je me suis installé. »


II

Le 26 avril, arriva le lieutenant-général Voirol, nommé par le roi inspecteur-général et commandant en second du corps d’occupation d’Afrique. Intérimaire, comme le général Avizard, il demeura intérimaire, même après la mort du duc de Rovigo, et il le fut pendant dix-sept mois, — longum œvi spatium, — car aucun des titulaires, ses prédécesseurs, n’avait eu la chance de parcourir une aussi longue carrière. Avant de donner une organisation définitive à ses possessions d’Afrique, le gouvernement voulait prendre le temps de réfléchir. En fait, quoique intérimaire, le général Voirol n’en fut pas moins général en chef, avec pleine autorité sur Oran et sur Bône comme sur Alger. Le total des forces dont il avait le commandement supérieur s’élevait au chiffre imposant de vingt-trois mille cinq cents hommes et de dix-huit cents chevaux. Ses premiers actes, inspirés par une fermeté sans rigueur, firent bien augurer de lui.

Les villages, ou plutôt les amas de gourbis qui portaient le nom