ait exagéré, dans ces derniers temps, les mouvemens des Russes aux approches d’Hérat ; il se peut aussi fort bien que la Russie ait cru pouvoir profiter des embarras de l’Angleterre pour hâter sa marche au cœur de l’Asie. Le péril, dans tous les cas, a paru cette fois assez grave, assez distinct pour émouvoir le sentiment britannique, toujours prompt à s’éveiller, car il s’agit, après tout, de la sûreté de l’empire des Indes. De là entre les deux empires une certaine recrudescence des rivalités nationales et une tension de rapports qui n’ont été qu’une complication de plus ajoutée aux complications égyptiennes. Le ministère qui gouverne aujourd’hui l’Angleterre a sans doute un peu contribué, par sa politique indécise, à laisser s’aggraver ces dangers qu’il n’a su ni prévoir ni détourner, et c’est là vraisemblablement ce qui explique la peine qu’il a eue tout récemment à conquérir dans le parlement un vote de confiance qu’il n’a obtenu d’ailleurs qu’à une faible majorité.
Ainsi, difficultés en Égypte, difficultés avec la Russie dans l’Asie centrale, affaiblissement du cabinet libéral, soupçonné de n’avoir qu’une politique insuffisante en face de ces questions périlleuses, tout cela réuni ne fait pas à l’Angleterre une situation aisée. C’est précisément dans ces conditions que M. de Bismarck, à son tour, a cru devoir intervenir à sa manière, avec l’intention évidente de profiter, lui aussi, des circonstances, et il a saisi la première occasion venue, celle de la publication des Livres bleus anglais. Il n’a même pas employé les moyens diplomatiques pour communiquer au gouvernement de la reine ce qu’il voulait lui dire. Ce grand ennemi du régime parlementaire a engagé un duel parlementaire. Il a prononcé l’autre jour au Reichstag un discours de sa façon, où, de son ton le plus hautain et le plus ironique, il s’est plaint un peu de tout, des indiscrétions des Blue-Books, des procédés désobligeans des ministres anglais, de leur dédain pour ses communications, des contrariétés qu’il avait toujours rencontrées à Londres pour sa politique coloniale. Le tout-puissant chancelier a pris ses aises avec les ministres de la reine Victoria et ne leur a pas ménagé les traits acérés de sa verve humoristique et superbe, sans craindre de donner à ses boutades le retentissement d’un débat de tribune. Au premier abord, on aurait pu croire que cette éloquence passablement libre allait remuer la fibre britannique et qu’il pouvait en résulter un refroidissement au moins momentané. Heureusement les choses ne vont pas si vite et d’une façon si tragique entre deux empires qui ont en ce moment tant d’intérêt à ne pas se brouiller tout à fait, et qui sont unis par de si puissans, de si intimes liens de dynasties. La reine Victoria et l’empereur Guillaume sont probablement intervenus à propos pour calmer les susceptibilités de leurs ministres et atténuer le danger.
Au fond, qu’a voulu M. de Bismarck ? Il n’est point douteux que,