Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/472

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

ment pas leur faute. C’est qu’en les envoyant dans ces régions inconnues, on a commencé par leur donner plus d’occasions de se dévouer que de moyens de vaincre ; c’est qu’une politique imprévoyante et légère n’avait mesuré ni les proportions de l’œuvre qu’elle entreprenait, ni l’importance de l’adversaire qu’elle se créait, qu’elle allait rencontrer. Ces Chinois, avec lesquels on a longtemps affecté de n’être point en guerre, et qu’on traitait dans tous les cas, sur la foi de vieux souvenirs, comme des soldats peu sérieux, ces Chinois se sont trouvés en définitive être un ennemi avec lequel il faut compter. Ils ont été peut-être formés par des officiers étrangers, ils se sont à coup sûr aguerris en combattant contre nous. Ils ont une organisation militaire et des armes perfectionnées, une artillerie puissante, des approvisionnemens abondans. Ils savent se retrancher, profiter des accidens de terrain, multiplier les ouvrages fortifiés et se créer des positions qu’ils défendent avec un certain acharnement. Lorsqu’il y a déjà quelques semaines, M. le général Brière de l’Isle a pu réunir assez de forces pour engager la campagne et s’est décidé à marcher sur Lang-Son, précédé par le général Négrier, qui était à l’avant-garde, les deux chefs ont rencontré aussitôt sur leur chemin d’assez sérieuses difficultés ; ils ont eu à enlever des positions savamment reliées, vigoureusement disputées, et ce n’est qu’après une série de combats assez meurtriers qu’ils se sont ouvert définitivement la route de Lang-Son, où ils sont bientôt entrés victorieusement.

Il a fallu une rude campagne de quelques jours pour emporter une ville où l’on croyait aller, l’an dernier, avec quelques centaines d’hommes lancés à l’aventure. À peine arrivé à Lang-Son, M. le général Brière de l’Isle, laissant son lieutenant, le général Négrier, chargé de la garde de la frontière qui venait d’être conquise, était obligé de se dérober et de courir, avec une de ses brigades, au secours de la petite place de Tuyen-Kuan, sur la rivière Claire, où se passaient les événemens les plus graves. Depuis plus d’un mois déjà la ville était cernée par dix ou douze mille Chinois qui la serraient de près et en gardaient les approches par des ouvrages habilement improvisés, dans des positions presque inaccessibles. Depuis dix-huit jours, la brèche était ouverte dans le corps de place, et la petite garnison, composée seulement de cinq cents hommes, mais dirigée par un chef énergique, le commandant Dominé, avait eu à repousser sept ou huit assauts ; elle résistait toujours, résolue à périr sur la brèche ! La situation devenait critique, quand les secours arrivaient heureusement, et le général Brière de l’Isle, pour délivrer la place, avait lui-même à attaquer d’abord l’ennemi fortement établi dans ses ouvrages, à l’abri de trois lignes successives de tranchées, à 6 kilomètres de Tuyen-Kuan. Le combat, soutenu par la brigade Giovanninelli, a été violent et a duré