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l’éclat de couleurs étrangères, des violences d’attitudes que présenteront certains tableaux de la suite : même travesti en Parisien, même décoloré, on demeurera Hongrois par l’énergie du geste. À souhait pour nos yeux, l’auteur place devant nous, brillamment vêtus et armés, Andras Zilah, dont le père vient de périr dans la bataille, le jeune Menko, orphelin lui aussi, le vieux Varhély, qui sera le tuteur de tous les deux, leur professeur de courage et d’honneur. Tout autour, dans la clairière de ce bois de sapins, se rangent des hussards ralliés entre deux charges. Surviennent des bohémiens avec leur reine, la Tisza, la future mère de Marsa ; et, pour les funérailles du père d’An-dras, éclate la Marche de Rakoczy.

De ce pays de neige, nous voilà transportés, vingt ans après, dans un salon parisien, chez la marquise Dinati, une belle veuve, de relations cosmopolites, qui réunit pour le moins « toute l’Europe au parc Monceau. » Une exposition de comédie, comme il s’en fait à la lumière des lustres : va-et-vient d’invités, mots d’esprit et scènes de flirt. Arrive Marsa, puis Andras. Veut-elle l’épouser ? — Jamais ! — Elle en aime donc un autre ? — Non. — Mais il en mourra ! — C’est différent ; elle l’épousera : ils forment un groupe. Ciel ! le groupe se disjoint ; un troisième personnage paraît entre les deux : Menko !

À Maisons-Laffitte, quelques jours plus tard, chez Marsa. Elle paraît inquiète ; elle n’a fait part, cependant, d’aucun souci à Andras. Elle l’attend ; il vient, elle le laisse aller. Menko se présente ; alors seulement et devant lui seul, avec une décence de parole dont nous lui savons gré, elle nous met dans sa confidence : elle a été la maîtresse de Menko. Il la menace, pour rompre son mariage, d’envoyer ses lettres à Zilah. Il la somme de lui appartenir, du moins, une fois encore ; elle lui coupe le front de sa cravache. Il se retire, annonçant qu’il reviendra cette nuit. Elle fait lâcher les chiens dans le parc, deux chiens féroces qu’on nous a montrés tout à l’heure. Bientôt à leurs aboiemens, nous devinons qu’ils ont surpris Menko ; à leurs grognemens, qu’ils le dévorent. Nous rappelons-nous le roman ? Nous rappelons-nous un autre récit, entendu à la même époque, Marielle Thibaut, de M. Adrien Chabot, où certain garde-chasse, qui n’était pas tzigane, mais Français, faisait de même manger un homme par sa meute ? Nous frémissons au souvenir de pareilles scènes ; nous frémissons à la vue de Marsa, qui manque de s’évanouir en écoutant ces bruits. C’est dommage pourtant qu’il soit impossible de réaliser de telles horreurs au théâtre, même à la cantonade. Notre imagination, dans le silence de la lecture, était plus effrayée qu’ici ; nous ne pouvons oublier que ce vacarme est fait par un régisseur, qui souffle dans un verre de lampe.

Aussi bien, trop émus, nous en serions pour nos frais : au tableau suivant, nous retrouvons les choses en l’état. Menko n’est pas mort,