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fabrique, ou plutôt, comme dit volontiers M. de Goncourt, « l’écriture. » Il y a quelque chose de tendu dans le discours et de précieux ou de brillante dans le dialogue, où les amis du naturel ne trouvent pas leur compte ; il y a même, en quelques points, une fausse familiarité qui me chagrine plus que toute autre manière d’apprêt. Ce n’est apparemment qu’à la suite de plusieurs essais que les auteurs eussent acquis, sans perdre la qualité française du langage, le parfait abandon. Mais déjà quel régal pour des oreilles habituées à la prose du mélodrame contemporain et du vaudeville ! Quel vocabulaire savoureux ! Que de tours spirituels et d’aimables cadences ! Ajoutez que MM. de Goncourt s’efforcent de faire parler tel ou tel personnage, le Monsieur en habit noir ou Maréchal, selon les convenances de son caractère, de sa condition et de l’heure : l’effort est visible, soit I Il est souvent suivi de succès. Faut-il le répéter encore ? Ce n’est ici que la première pièce jouée de deux écrivains qui ont dépensé dans un autre genre le plus rare de leur talent : c’est assez, de bonne foi, pour faire regretter que ce soit la seule. C’est assez pour faire déplorer qu’une sotte cabale ait barré naguère à ces nouveau-venus l’accès du théâtre ; assez aussi pour désigner aux directeurs leur autre drame, la Patrie en danger, qu’il vaudrait mieux voir jouer, à coup sûr, que les Français au Tonkin. Henriette Maréchal n’est pas une œuvre de premier ordre, ni parfaite ; c’est pourtant une esquisse faite de main d’artiste, et qui ne peut qu’intéresser les amateurs. A peine exposée jadis, on avait dû la retirer. M. Porel nous l’a rendue : il faut d’abord louer son courage. Il l’a présentée d’assez bonne façon : il faut louer son habileté. Il a rappelé tout exprès Mlle Léonide Leblanc, pour le rôle de Mme Maréchal : elle le joue avec intelligence, avec trop d’expression dans certaines parties du deuxième acte, mais en comédienne depuis le premier mot jusqu’au dernier. Mlle Real a composé le personnage d’Henriette avec beaucoup de tact et de sensibilité. M. Chelles est un excellent Maréchal ; M. Albert Lambert, quoiqu’un peu épais, est un Pierre très convenable ; son fils, quoique trop romantique dans le rôle de Paul, est un bon amoureux de théâtre. Mais la surprise, c’est le début d’un acteur, nommé Dumény, qui représente le Monsieur en habit noir. O miracle ! Est-ce inexpérience ? Est-ce perfection d’un talent précoce ? Il a vraiment l’air d’un monsieur en habit noir !

D’aucuns, dont je ne suis pas, prétendent que ni l’amour de Mme Maréchal, ni le sacrifice d’Henriette, ni quelques petites choses encore ne sont assez expliquées dans le drame de MM. de Goncourt, et que l’action y marche par saccades sans qu’on aperçoive clairement les raisons de son progrès. À ces exigeans je demanderai : « Avez-vous lu Zilah ? » Et si, par hasard, ils tournent la tête de gauche à droite au lieu de la hocher de haut en bas, je leur dirai : « Courez chez Dentu,