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rique, le charme et les ormes, les principaux érables des pays tempérés, et l’on obtiendra un tableau résumé de ce domaine forestier de l’ancien monde tertiaire. On voit que les traits en sont actuellement épars, et que c’est plus au sud, dans les domaines californien ou mexicain, dans le méditerranéen et le chino-japonais, même dans l’Inde, qu’il faut en rechercher les élémens disjoints.

Mais ce domaine n’est pas le seul que l’on observe dans l’Europe tertiaire : celle-ci, loin de rester immuable, a changé plusieurs fois d’aspect, au cours de cette période. Avant d’être découpée par la mer molassique et d’avoir servi de cuvette aux grands lacs qui précédèrent l’invasion de cette mer, notre continent avait été successivement reçu dans deux autres mers : la mer tongrienne ou « oligocène, » et la mer nummulitique ou « éocène ». Pendant leur durée, la France et une partie au moins de l’Europe du Sud constituèrent un domaine végétal différent de celui dont il vient d’être question, c’est-à-dire soumis à d’autres conditions de climat, avec une autre distribution de sol et de saisons, recevant des précipitations aqueuses plus rares en été, plus abondantes peut-être à certains momens de l’année. De là une flore revêtue d’un caractère tout particulier, riche et variée, mais avec des formes maigres, un feuillage sans ampleur, des arbustes plutôt que des arbres, une taille relativement inférieure à celle des végétaux qui dominèrent à partir de « l’aquitanien. » En un mot, c’est un domaine végétal d’affinité africaine, ou africo-indienne, excluant cette exubérance que la flore actuelle affecte sous les tropiques dès qu’elle rencontre une humidité suffisante pour favoriser son essor. Monte-Bolca, en Italie, les marnes du Trocadéro, à Paris, les grès du Puy-en-Velay, les gypses d’Aix, sans compter d’autres localités, ont fourni ensemble près de cinq cents espèces ayant appartenu à plusieurs niveaux de la même période ; il est donc possible d’interpréter les élémens qu’elle comprenait.

Les séquoïas californiens sont ici remplacés par les callitris d’Algérie[1] et les genévriers du Cap (Widdringtonia). Les palmiers-éventail (Flabellaria), et aussi les dattiers, dont il existe un exemplaire accompagné de son régime, sont de taille, sinon petite, du moins médiocre. Les ciriers, les figuiers, les araliacées, sont assimilables à ceux du Cap ou de l’Abyssinie ; les lauriers, les cam-

  1. Le callitris (Callitris quadrivalvis Vend.) est l’arbre dont les pieds agés fournissaient aux Romains le fameux bois de cèdre ou cédrat, faussement interprété comme un bois de citronnier, dont les riches sénateurs se servaient pour construire des tables d’un grand prix (mensæ cedrinæ), a raison de la rareté de ce bois, de son poli, de la beauté de ses veines, enfin de la difficulté de s’en procurer de grandes pièces. Ce même bois est encore recherché par l’ébénisterie et la marqueterie de luxe.