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de celles qui se sont succédé à la surface du globe. À chaque révolution physique qui s’opérait, la végétation influencée par elle a dû se mettre en harmonie avec les changemens survenus, avant d’offrir l’aspect qu’elle a dans chaque région déterminée ; mais cet aspect, loin d’être immuable, est susceptible de varier de nouveau, de même qu’il a été amené le plus souvent par des gradations insensibles.

Affectées dans leur raison d’être par les révolutions physiques, les formes végétales, tout en subissant à la longue de véritables transformations, ne sont pas demeurées non plus enchaînées aux mêmes lieux ; elles ont changé de place selon les temps et les circonstances. Aux ébranlemens extérieurs ont répondu à toutes les époques des évolutions organiques et des déplacemens d’une amplitude plus ou moins marquée. C’est par toutes ces causes réunies : abaissement de la température, altérations des climats, modification des surfaces et des attenances continentales, déplacement des espèces, élimination des unes et extension ou cantonnement des autres, que les domaines végétaux n’ont cessé de présenter des différences, d’une période à l’autre, dans le cours immense du temps écoulé depuis l’épanouissement des premières flores et encore plus depuis le moment où le froid polaire eut commencé de se manifester, en accentuant graduellement son intensité.

Il est possible de constater, en effet, que, vers le milieu des temps tertiaires, le domaine forestier de l’hémisphère boréal, maintenant presque partout limité par le cercle polaire, s’étendait justement au-delà et au nord de cette barrière, occupant l’espace abandonné de nos jours à la flore arctique. Les sapins et les ifs, les hêtres et les bouleaux, les chênes à feuilles caduques, les ormes et les charmes, les platanes et les tilleuls, enfin les érables, qui constituent le fond des grandes forêts et des plaines boisées, en Europe comme en Asie ou dans l’Amérique du Nord, peuplaient alors les approches du cercle polaire, jusqu’au-delà du 70e degré de latitude nord. — L’emplacement actuel de ce domaine, ainsi reporté beaucoup plus au nord, constituait à son tour, à la même époque, un domaine spécial dont les élémens, présentement disséminés et en partie éliminés, peuvent être reconstitués cependant à l’aide des plantes fossiles. Pour opérer cette reconstitution, il faut réunir en un même ensemble harmonieusement combiné les séquoias de Californie, les palmiers-sabals des Antilles, les dattiers africains, joindre aux chênes verts du Mexique et du Texas ceux du Népaul et du Japon, demander à la Chine ses aralias, au Japon méridional son camphrier, ses plaqueminiers, associer à des figuiers, à des acacias, à des térébinthes, à des jujubiers africains ou sud-asiatiques, le hêtre d’Amé-