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de l’altération de ces mêmes circonstances pour que, fatalement, la végétation fût aussi vouée au changement ; nous ne voulons pas dire, et nous insistons à dessein sur ce point, que les espèces atteintes par un pareil changement modifieraient aussitôt leur organisation et donneraient l’exemple de véritables métamorphoses ; mais enfin, d’une façon ou d’autre, la flore ne garderait ni le même aspect, ni la même composition ; elle acquerrait certaines espèces et en perdrait d’autres, et, tandis que les formes auparavant dominantes reculeraient, d’autres, en revanche, antérieurement obscures ou retenues à l’écart, envahiraient le sol et prendraient la place des devancières. La meilleure preuve qu’il en serait ainsi, c’est que nous trouvons dans le passé sérieusement interrogé une confirmation éclatante de cette manière d’envisager les choses.

Les enseignemens de la géologie font voir que la configuration des continens a été sujette à d’incessantes oscillations, en sorte que, d’une époque à l’autre, ils n’ont affecté ni les mêmes contours ni les mêmes reliefs ; la direction des vallées et le cours des fleuves ont varié comme tout le reste. — Lors du quaternaire, l’Angleterre était soudée à la France, l’Allemagne du Nord noyée sous les eaux ; nos principales chaînes disparaissaient sous d’immenses glaciers. En remontant plus loin, jusque dans les temps tertiaires, on rencontre une Europe dont les Alpes sont absentes, tandis que la mer découpe le milieu du continent et le prolonge jusqu’au centre de l’Asie. L’Afrique et l’Espagne communiquent ; l’Italie n’est encore qu’une série d’îlots. — À l’époque de la craie moyenne, l’Europe vient à peine d’acquérir les proportions d’un continent ; peut-être servait-elle d’appendice à une terre cachée depuis sous les flots de l’Atlantique. Paris a été longtemps un golfe : lors de la période néocomienne, ce golfe semble avoir été cerné par une ceinture de hautes montagnes boisées. Dans un âge un peu postérieur, le « cénomanien, » une grande mer vint occuper l’intérieur de l’Amérique du Nord et couvrit longtemps la vallée du Missouri et les plaines de l’Arkansas. Ces exemples, pris en courant parmi les premiers qui s’offrent à la pensée, suffisent pour démontrer combien la surface de notre globe a subi de bouleversemens physiques. Le climat et la température n’ont pas été soumis à de moindres altérations à partir de l’égalité originaire. Ce sont bien là, nous ne saurions en douter, les facteurs à l’action combinée desquels sont dus en réalité les domaines végétaux que nous avons passés en revue. Ceux-ci, par cela même, au lieu de représenter le berceau des espèces qu’ils comprennent, loin d’être pour la végétation locale un point de départ et d’origine, traduisent uniquement une des phases de cette végétation, la dernière et la plus récente