Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/370

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Linnée et les mobiles auxquels ses successeurs ont obéi, peut-être inconsciemment. Le premier considère comme des caractères secondairement acquis, comme des nuances de localisation trop faibles pour ne pas être subordonnées aux différences fondamentales, les variations de détail dont le chêne commun donne l’exemple : à quoi se réduisent-elles, en effet, sinon à des particularités morphologiques susceptibles de s’atténuer ou même disparaître, aussitôt qu’au lieu de voir les choses en masse, en y regardant de plus près, on constate qu’elles sont soumises à d’inévitables fluctuations ? Le chêne « à glands pédonculés » présente des feuilles lisses et presque dénuées de pétioles, tandis que, dans le chêne « à glands sessiles, » les pédoncules fructifères sont courts ou nuls et les feuilles assez longuement pétiolées ; il se trouve pourtant que ces mêmes pédoncules s’allongent parfois chez celui-ci, et chez le chêne « pubescent » de la France méridionale, dont la seule distinction réside dans le duvet cotonneux de ses feuilles ; mais, dans les cas assez fréquens où ce duvet s’efface, le chêne « pubescent » se confond avec le chêne « à glands sessiles, » tandis que le chêne « à glands pédonculés, » sous l’influence du climat méridional, acquiert ce même duvet et ne présente plus que des pédoncules relativement courts ; il prend alors le nom de chêne « des Apennins. » D’ailleurs, lorsque ces diverses races, dont la personnalité ne saurait être contestée, se trouvent en contact sur les points où leurs aires d’habitation respectives se pénètrent, elles ne manquent pas de produire des formes ambiguës, résultant évidemment du métissage. Il est donc certain qu’il s’agit au total de races alliées de fort près, et que Linnée avait jugé sainement en les considérant comme les variétés d’un seul et même type. En appliquant le nom d’espèce au seul chêne commun, ou chêne « rouvre, » il admettait implicitement que les diversités afférentes aux quatre races que nous venons de signaler avaient dû naître et se fixer dans le cours des six ou sept mille ans qui nous séparaient, à ses yeux, de la création. Le chêne rouvre aurait été une émanation directe de celle-ci, tandis que les chênes à glands pédonculés et à glands sessiles, le chêne pubescent et celui des Apennins seraient résultés de modifications postérieures et relativement récentes. Ces différenciations, si peu prononcées qu’elles puissent paraître, ont été cependant considérées par la plupart des auteurs venus après Linnée comme suffisant pour justifier l’élévation au rang d’espèces des races qui en avaient été affectées. Ainsi, les mêmes caractères regardés par le maître comme acquis au cours d’un assez petit nombre de siècles étaient tenus pour innés et incommutables par les disciples et les successeurs, et tous appartenaient pourtant à la même école, celle aux yeux de laquelle l’es-