Page:Revue des Deux Mondes - 1885 - tome 68.djvu/364

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

apaisement en faveur du transformisme ? Les théories, il faut le dire, n’effarouchent pas comme au début. Ceux qu’offusquent les nouveautés, uniquement parce qu’elles changent ce qui leur paraissait établi ; tous ceux, — et le nombre en est grand d’un siècle à l’autre, — qui se hâtent d’écrire une thèse « contre les circulans » ou dont le mouvement de la terre trouble le sommeil, aussitôt qu’un Galilée s’avise d’en proclamer la réalité, ceux-là se taisent plutôt maintenant ; ils sentent confusément qu’ils touchent à l’heure du laisser passer. Les adeptes de l’évolution comprennent de leur côté que l’avenir et l’espace s’ouvrent devant eux : une perspective immense se déroule à perte de vue, comme si, à la sortie d’un étroit défilé, on avait à parcourir une plaine sans limite ; ils n’ignorent pas cependant que cette immensité même les oblige à choisir des points de repère, à partager le travail, à se disperser en éclaireurs, au moment d’aborder cette terra incognita, qui, sérieusement interrogée, leur livrera sans doute des indices et des documens de nature à déterminer les divers phénomènes d’où relève la filiation des êtres vivans.

Une des idées qui se présentent le plus naturellement à l’esprit, c’est celle des préjugés à vaincre, toutes les fois que l’homme se trouve dans le cas de percevoir une vérité assez complexe pour ne pouvoir être saisie du premier élan, destinée au contraire à se révéler par fragmens, à l’exemple d’une inscription qu’il faut déchiffrer à plusieurs reprises avant d’en obtenir la lecture définitive. — Toutes les branches du savoir fournissent des démonstrations de cette façon partielle et successive de procéder, et chaque fois que, par un effort nouveau, l’homme se rapproche de la réalité, il se heurte à des résistances inévitables dont il doit triompher avant que la théorie ancienne cède la place à celle qui représente le progrès. En astronomie, en physique, en chimie, en linguistique aussi, les systèmes successifs ont été à leur heure l’expression significative de ce que l’homme avait imaginé de plus plausible pour expliquer des phénomènes dont les élémens ne lui étaient que très imparfaitement connus. Chaque fois, il donnait des noms et attribuait une réalité objective à des ressorts et à des combinaisons supposés, au moyen desquels il suppléait aux lacunes de ses connaissances. Il agissait comme quelqu’un qui, voyant tourner une roue, serait réduit à des hypothèses relativement à la nature du mécanisme destiné à la faire mouvoir et qu’un mur déroberait à sa vue. Plus l’observateur s’avancerait au-delà, plus il percerait d’ouvertures au travers du mur, plus aussi il deviendrait capable de saisir la raison d’être de l’appareil moteur, tandis que la plupart de ceux que les actes de l’explorateur auraient mis en défiance ou qui refuse-