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science, mais ils arrivaient tous à posséder un fonds de connaissances solides qui les suivaient et les soutenaient toute leur vie. Or que propose-t-on ? D’abolir complètement ce régime, d’enlever à la culture générale la seule année qui lui restât. C’est fort logique en vérité : déjà, en fait, sinon officiellement, la spécialisation avait été avancée d’une année ; on l’avancera de deux et tout sera dit. L’érudition aura conquis l’École, et l’élite de nos candidats à la licence, au lieu de passer par la rue d’Ulm, se formera désormais au baraquement Gerson.

Les choses en iront-elles aussi bien ? On l’assure. Pour la jeune Sorbonne peut-être ; elle gagnerait à ce changement une clientèle choisie ; pour l’état, il semble difficile de l’admettre. D’abord, et a priori, les boursiers de facultés ne vaudront jamais sous le rapport de la culture générale et de l’aptitude professionnelle des jeunes gens soumis à trois ans d’une discipline et d’un entraînement assez rudes à coup sûr, mais singulièrement efficaces et fortifians. Ensuite, une chose certaine[1], c’est qu’à part la section littéraire, où le niveau s’est maintenu, les études sont moins fortes à l’École normale depuis que l’érudition y a pris tant de place et que ses élèves ont une fâcheuse tendance à déserter l’enseignement secondaire, au grand détriment de celui-ci. Que serait-ce le jour où la préparation à la licence aurait été renvoyée tout entière aux facultés et que l’École aurait achevé de perdre son caractère professionnel pour devenir un établissement de haute culture scientifique ? C’est alors que les présidens de nos divers jurys en verraient de ces candidats parfaitement incapables de se tirer d’une explication de Thucydide ou de Platon, et c’est-alors que les études classiques, déjà si peu florissantes dans nos lycées, seraient menacées d’une absolue décadence !

Il y a là, qu’on y prenne garde, un sérieux danger, et ce n’est pas le seul ni même le plus grand, lin ell’et, ce qui s’agite, au fond, sous ce mouvement désordonné de réformes et de projets, c’est encore et toujours le procès fait à la science, à l’érudition, au vieil esprit français, par une école que j’aurai suffisamment désignée quand j’aurai dit qu’elle est d’origine et de tendances allemandes. Née vers le milieu de ce siècle, et tout d’abord assez chétive, cette école n’était parvenue qu’à grand’peine à la notoriété dans les dernières années de l’empire. Prudente en ses allures, timide en ses démarches, toute son ambition se bornait alors à réclamer parmi nous sa très petite place au soleil ; mais elle a

  1. Bien avant les échecs de ces deux dernières années, elle avait été constatée par les examinateurs de l’école.