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humaine, qui est due en partie aux efforts accumulés des générations antérieures, en partie à la force même des choses et à la marche générale de la civilisation. Il faut convenir qu’il y a des couches profondes de la société à travers lesquelles cette amélioration du bien-être ne pénètre que bien lentement. Mais cependant, du plus au moins, toutes s’exhaussent, comme, dans les pays depuis longtemps habités, s’est exhaussé peu à peu le sol qui recouvre aujourd’hui la base des anciens monumens. Chercher dans les siècles antérieurs l’idéal d’une meilleure condition sociale n’est pas commettre une moindre erreur que ne le serait, dans ces vieux pays, la pensée de creuser jusqu’à l’ancien niveau pour y établir les fondemens d’un nouvel édifice.

Au surplus, cette tendance à revêtir de couleurs brillantes et poétiques les temps qui ne sont plus et que nous n’avons jamais connus est une disposition constante de l’esprit humain, à laquelle aucune génération n’a échappé. C’est une des formes variées que prend chez l’homme cette aspiration vers l’idéal qui fait sa grandeur et son tourment. Froisse du misérable spectacle des choses humaines, trop enclin à douter d’un meilleur avenir et d’un monde plus satisfaisant, il tourne instinctivement ses regards en arrière et cherche à découvrir dans les brouillards du passé cette image dorée de la perfection terrestre que ses yeux n’aperçoivent pas à l’éclatante lumière du jour. Autrefois,.. jadis,.. nos pères,.. ces mots lui viennent alors à la bouche et ne sont en réalité que l’expression de sa tristesse, de son découragement, de sa défiance de lui-même. Hélas ! autrefois n’était pas meilleur qu’aujourd’hui, jadis on souffrait comme à présent, et nos pères n’étaient pas plus heureux que nous. Mais nous n’en voulons rien croire et nous cherchons à nous consoler de n’avoir jamais connu le bonheur par la pensée que pour d’autres il a pu exister.


Jours qu’en vain l’on regrette, aviez-vous tant de charme,
Ou le vent troublait-il aussi votre clarté,
Et l’ennui du présent fait-il votre beauté ?


Certes, je comprends l’ennui du présent ; il est des jours où cet ennui est accablant. Mais, pour se relever, ne vaut-il pas mieux tourner ses regards vers l’avenir que vers le passé ?


HAUSSONVILLE.