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s’inquiètent pas beaucoup des grèves, car une de leurs espérances est de les prévenir, et cela par la vertu d’une seconde institution dont ils font le corollaire indispensable du syndicat mixte : je veux parler du patrimoine corporatif. On appelle ainsi, dans la langue de l’Œuvre des cercles, la constitution d’un patrimoine qui serait la propriété de la corporation tout entière, patrons et ouvriers, et qui deviendrait, par l’intérêt que chacun ne saurait manquer de porter à sa conservation et à son agrandissement, le gage de leur entente et de leur union. « Nous comptons beaucoup, dit un des membres les plus autorisés de l’œuvre, sur l’attrait de cette propriété collective pour attacher à la corporation les patrons et les ouvriers ; on ne pourra quitter la corporation sans perdre sa part dans la fortune collective, et la crainte de la voir se dissiper par une liquidation prématurée sera un empêchement sérieux à la formation des grèves. »

Laissons de côté l’intérêt du patron dans le patrimoine corporatif. Cet intérêt ne sera jamais qu’une part infinitésimale de sa fortune, et si la fantaisie lui prenait d’abandonner la corporation, ce n’est pas cette considération qui pourrait l’en empêcher. Reste celui de l’ouvrier Mais, d’abord, il serait bon de savoir comment se constituera ce patrimoine corporatif et en quoi il consistera, comment il se constituera ? Par les cotisations volontaires de membres de la corporation, par des dons et legs (il faudra les voir venir), enfin, par le produit de diverses institutions économiques, sociétés de consommation ou autres qui pourront former ce qu’on appelle dans une langue assez barbare : un boni corporatif. Je crains que toutes ces ressources réunies ne constituent pendant longtemps un assez maigre avoir. Quel sera maintenant l’emploi des ressources ainsi réunies ? Si je comprends bien la conception du patrimoine corporatif, on ne saurait entendre sous cette dénomination des fonds toujours disponibles qui serviraient seulement à alimenter une caisse de secours en cas de maladie, de chômage, ou même une caisse de retraite. S’il en était ainsi, toutes les sociétés qui ont des caisses de retraite où versent aussi bien le directeur que les plus modestes employés, seraient en possession d’un patrimoine corporatif, et la chose n’aurait rien de nouveau. Pour que le patrimoine corporatif soit digne de ce nom, il faut qu’il ait un certain caractère de perpétuité et d’immobilisation relative ; qu’il consiste en fonds placés à perpétuité, ou mieux en immeubles servant à l’association : cercle, école professionnelle, hôpital, chapelle, etc… Je comprends bien l’idée : elle est renouvelée de l’ancienne maison commune des corporations d’arts et métiers, qui était à la fois la propriété et le lieu de réunion des artisans, comme la maison commune des orfèvres à Paris. Cela pouvait être utile