comprendre non pas seulement les ouvriers, mais les patrons ; c’est ce qu’ils ont appelé, d’une expression assez heureuse, les syndicats mixtes de patrons et d’ouvriers. L’organisation corporative ainsi conçue ne serait pas seulement applicable à la petite industrie, où la distance sociale qui sépare le patron de l’ouvrier n’est pas très considérable : elle conviendrait également à la grande, voire même aux relations des propriétaires ou fermiers avec les ouvriers qu’ils emploient. Mais les adhérens au syndicat mixte ne seraient pas uniquement réunis par un lien professionnel ; ils devraient encore tenir les uns aux autres par un lien religieux. La corporation devrait être, en un mot, une association essentiellement chrétienne et, pour en emprunter la définition à l’un des hommes qui ont le mieux approfondi cette question, non pas seulement en théorie, mais en pratique, « c’est une société religieuse et économique, formée librement par des chefs de familles industrielles, patrons et ouvriers d’un même corps d’état ou de professions analogues et dont tous les membres sont groupés dans diverses associations de piété. »
Une société religieuse et économique, telle est, en effet, la conception du syndicat mixte, et, pour faire connaître dans ses détails la vie intérieure de cette société, je ne puis que renvoyer mes lecteurs au Manuel de la corporation chrétienne, de M. Léon Harmel, dont j’ai tiré la définition qui précède. M. Harmel n’est pas un théoricien ni un songe-creux : c’est un industriel qui a réalisé, paraît-il, à son usine du Val-des-Bois, le rêve d’un syndicat mixte, où les patrons et leur famille, les ouvriers et leurs familles vivent ensemble dans les liens d’une seule et même corporation, et, ce qui vaut mieux encore, dans les termes de l’entente et de la confiance réciproque la plus absolue. Je n’ai jamais eu l’honneur de visiter l’usine du Val-des-Bois, mais, quels que soient les résultats que M. Harmel ait pu y obtenir, rien ne saurait surprendre lorsqu’on sait, de quelle façon il entend les devoirs du patron. Qu’on me permette de citer encore une page de son Manuel, ne fût-ce que pour montrer combien il est inconvenant de répondre par des injures ou des lazzi à des hommes qu’anime une ferveur pareille : « Le patron qui est guidé par des motifs surnaturels, dit M. Léon Harmel, trouve dans ses croyances une énergie toujours nouvelle. A ses yeux, les ouvriers ne sont plus des hommes vulgaires, faibles et inconstans : ce sont des âmes rachetées par le sang de Jésus-Christ. Alors s’allume dans son cœur la noble passion du salut de ces âmes. Il sait que Dieu est avec lui : c’est tout ce qu’il veut. Les obstacles deviennent pour lui des moyens. Les épreuves ne l’enraient pas ; elles sont la condition nécessaire des œuvres de Dieu. Les humiliations ne le déconcertent pas ; elles épurent ses intentions. L’ingratitude ne l’irrite pas ; ne sommes-nous pas plus ingrats envers Dieu qu’on ne l’est