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privations, est-il bien juste de s’en prendre aux fausses maximes des économistes ? N’en faut-il pas accuser davantage la force des choses, qui fait dépendre en grande partie leur condition d’une foule de circonstances absolument indépendantes de l’action directe des patrons : variations du prix des matières premières, bouleversement de l’industrie par la découverte incessante de nouveaux procédés, changemens fréquens de la mode et du goût, extension ou réduction des besoins de la consommation ; enfin, concurrence non-seulement des divers producteurs d’un même pays, mais encore des pays placés dans des conditions de production différentes ? il est vrai que cette concurrence même est considérée par l’école historique comme un mal moderne auquel elle voudrait mettre obstacle, et ceci nous amène tout naturellement à la discussion des remèdes que cette école propose d’apporter à des souffrances trop réelles. C’est là qu’est, après tout, le point intéressant, car il importerait peu que la révolution et les économistes soient ou non les auteurs de tous nos maux si véritablement il dépendait de nous d’en guérir. Telle est l’affirmation ; soumettons-la à l’épreuve d’une discussion sérieuse.


III

Si les docteurs et les militans de l’école historique sont pleinement d’accord pour attribuer une même origine aux maux de la société, en revanche, nous allons voir s’accuser entre eux certaines divergences sur la question des remèdes : les premiers, étant plus circonspects, moins affirmatifs, trop érudits pour ne pas sentir toute la complexité du problème ; les seconds, moins réfléchis, plus décidés et n’ayant peut-être pas aussi longtemps médité sur la difficulté. Voyons d’abord ce que va nous conseiller M. Périn.

Dans un gros ouvrage en trois volumes intitulé : De la Richesse dans les sociétés chrétiennes, M. Périn a développé une thèse dont on ne saurait assurément contester l’élévation et l’originalité. Suivant lui, tout le progrès matériel et tout le développement économique des sociétés est subordonné à la pratique d’une vertu chrétienne : le renoncement. C’est pour avoir cessé de mettre cette vertu en pratique que les sociétés modernes souffrent ; c’est en y revenant qu’elles se guériront. Le renoncement n’interdit pas de poursuivre l’acquisition de la richesse. Mais la richesse ne doit être considérée que comme un moyen et non comme un but. Celui qui a su l’acquérir par son travail doit toujours être prêt à s’en dépouiller. Moyennant que chacun soit pénétré de cette vérité, on verra toutes les souffrances disparaître comme par enchantement et l’harmonie refleurir dans la société. Il n’y a point de maux auxquels le