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cher pays ; vengeons-le par nos respects des ineptes calomnies qui ont été débitées contre lui, mais n’y cherchons pas un idéal de paix, d’harmonie, de félicité inconnu à la véridique histoire, et gardons-nous, par ces excès, d’amener une réaction contre la réaction même dont l’ancien régime éprouve aujourd’hui la tardive et équitable réparation.


II

Laissons maintenant dormir en paix le passé et arrivons au procès intenté par l’école historique aux doctrines économiques qui datent de la révolution française. S’il était vrai, en effet, que les doctrines de l’économie libérale (pour parler comme l’école historique), en matière de production et de concurrence, fussent en partie responsables des maux dont souffre la société moderne, on ne saurait trop s’appliquer à battre en brèche ces doctrines et à ruiner leur crédit. Voyons donc si ce procès est bien fondé.

Aux termes de l’acte d’accusation porté par ceux qui s’intitulent les économistes chrétiens contre les économistes libéraux, toute la doctrine de ces derniers se résume en deux formules : Laissez faire, laissez passer, — Le travail est une marchandise. La première de ces formules traduit les doctrines des économistes libéraux sur la question du travail et de la concurrence ; la seconde définit les rapports du capital et du travail, des patrons et des ouvriers. Au dire de l’école historique, l’une et l’autre maximes ont produit des maux incalculables. Elles ont proclamé en principe la légitimité de la jouissance égoïste et reconnu comme unique mobile de l’activité humaine la satisfaction des besoins individuels. A l’ancienne harmonie des intérêts qui régnait dans le monde industriel elles ont substitué la concurrence déloyale, la spéculation sans frein, l’exploitation de l’homme par l’homme. Là où la paix existait, elles ont déchaîné la guerre ; là où la charité réglait les rapports des hommes entre eux, elles ont semé la haine. Et comme ce sont les économistes, depuis Gournay et Adam Smith jusqu’à Cobden et Joseph Garnier (pour ne parler que des morts), qui, en les érigeant à la hauteur d’axiomes incontestables, les ont fait accepter comme règle de conduite par les particuliers et par l’état, c’est sur eux que doit retomber la responsabilité directe de la confusion déplorable où se débat la société moderne. Leur néfaste influence met obstacle au rétablissement de la paix sociale, que le retour aux saines doctrines d’autrefois suffirait à assurer, et entretient dans le monde du travail un antagonisme funeste[1].

  1. Ces "griefs de l’école historique contre les économistes ont été rassemblés naguère avec beaucoup de vigueur dans un article sur la législation du travail qui a paru dans l’Association catholique, organe des cercles catholiques, et qui a pour auteur M. Jean Lœsevitz. Dans une réfutation due à la plume de M. Arthur Mangin, rédacteur de l’Économiste français, on a pu dire sans exagération que le titre véritable de cet article devrait être : les Crimes de la liberté.