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argent, le sage intendant ajoutait : « Je crois qu’en attendant que vous ayez trouvé quelque moyen pour tirer d’une autre façon les sommes que vous comptiez avoir de cette ferme, il faut permettre aux perruquiers de travailler comme avant l’édit et les dispenser de marquer les coiffes. Je sens bien que c’est se dédire de ce qui a été fait et que cela diminue le crédit des affaires quand on est obligé de le faire par les mutineries des peuples ; mais cela doit faire faire grande attention à ne point faire d’affaires qui attaquent le menu peuple, qui ne gagne sa vie qu’au jour le jour. »

Si l’industrie de la soie était florissante à Lyon, il n’en était pas de même à Tours précisément à cause de la concurrence lyonnaise. L’intendant accusait « cinq cents métiers non battans et trois mille ouvriers, femmes et enfans, sans pain. » On commençait aussi à souffrir de la concurrence étrangère. A Aurillac, la manufacture des points de fil de France, qui comptait jusqu’à cinq et six mille ouvriers, était tombée, au dire de l’intendant, M. d’Ormesson, « depuis que la mode des points de France avait cessé à la cour. » Aussi les fabricans demandaient-ils que le roi donnât des ordres pour faire porter par les courtisans des points d’Aurillac de préférence à ceux des manufactures étrangères. Je pourrais multiplier ces citations et ces exemples, mais ce que j’en ai dit suffit à montrer que les maux causés par le chômage, les variations de la mode, le déplacement des industries, la concurrence intérieure ou étrangère, étaient parfaitement connus sous l’ancien régime.

Ces maux étaient-ils du moins compensés par des rapports meilleurs entre les patrons et les ouvriers ? L’histoire des Van Robais va nous l’apprendre. Les frères Van Robais avaient obtenu le privilège d’établir à Abbeville une manufacture de drap qui occupait quinze cents ouvriers. Croit-on qu’ils vécussent avec ces ouvriers dans des relations très différentes de celles que pourrait entretenir aujourd’hui le directeur d’une usine avec un personnel aussi nombreux ? En aucune façon : les Van Robais ne pensaient qu’à une chose, user de leur monopole pour vendre leur drap le plus cher possible sans augmenter le prix de revient et, par conséquent, les salaires. Aussi ce monopole excitait-il de vives réclamations. Une enquête était ordonnée et le rapport de cette enquête concluait ainsi : « De tous les ouvriers qui travaillent dans les manufactures du royaume, il n’y en a point qui soient aussi peu payés que ceux des sieurs Van Robais. Depuis l’établissement de la manufacture exclusive de draps à Abbeville, le prix des denrées, le prix de la main-d’œuvre, celui des draps même des Van Robais, s’est accru de moitié ; le salaire des ouvriers de cette fabrique est seul resté invariable ; le tisseur, le drosseur, le cardeur, qui paie aujourd’hui bien plus cher les choses nécessaires