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pendant tant de siècles une condition si enviable. Mais il n’y a point de problème historique plus délicat ; il n’y en a point, malgré « t peut-être à cause de l’abondance des documens, où il soit plus difficile à un esprit impartial de se faire une opinion raisonnée en dehors des illusions ou du parti-pris. Essayons cependant d’y parvenir.

Constatons d’abord qu’il y a un premier point acquis pour tous ceux qui ont suivi les études historiques de ces dernières années, c’est que la condition de la France sous l’ancien régime différait singulièrement du sombre tableau que s’est plu à en tracer la légende révolutionnaire. Une série de publications érudites et consciencieuses a dissipé les noirs brouillards amassés par la mauvaise foi et a fait apercevoir les choses sous leur vrai jour. Au premier rang de ces publications, il faut placer les ouvrages de M. Albert Babeau sur la vie municipale d’autrefois au village et à la ville, et sur la vie rurale dans l’ancienne France. En montrant pièces en mains tout ce qu’il y avait sous l’ancien régime de liberté et d’aisance, M. Babeau a fait une œuvre contre-révolutionnaire plus efficace que tous les anathèmes des de Maistre et des de Bonald, sans parler d’autres plus modernes. On en peut dire autant des études que M. Charles de Ribbe a tirées des Livres de raison de l’ancienne Provence et qui nous ont initiés au secret de la vie droiteet heureuse de nos paysans dans certaines régions. Se plaçant à un autre point de vue, M. Albert Duruy a montré dans ses études sur l’Instruction publique en France avant la révolution, tout ce qui avait été fait par le clergé et les congrégations religieuses en faveur de l’instruction populaire. Certains auteurs étudiant un champ plus circonscrit, comme M. l’abbé Mathieu dans son Histoire de l’ancien régime en Lorraine et en Barrois, ont montré les mœurs pacifiques et paisibles de nos anciennes provinces. Enfin, la publication de certains voyages comme celui d’Arthur Young, du docteur Bigby, de Wraxall, de Smollett, sont venus montrer que ce qui frappait surtout l’étranger traversant la France, c’était sa prospérité par rapport aux autres états de l’Europe. C’est ainsi, et non pas avec des déclamations vagues, qu’il faut écrire l’histoire. Aussi, tous ces travaux réunis ont-ils vengé la vieille France de cette longue accumulation d’injures dont elle a été accablée par toute une génération de déclamateurs et de sophistes. Il n’y a plus aujourd’hui que M. Paul Bert qui croie (encore le croit-il bien ? ) que la France, avant l’aurore de 1789, vivait dans les ténèbres d’une épaisse barbarie où l’on n’entendait que gémissemens et cris de douleur. Pour tous ceux qui savent ou veulent savoir (malheureusement, ce n’est pas le fait du plus grand nombre), il est désormais établi que, dans l’ancienne