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cette déférence d’un côté, cette sollicitude de l’autre, maintenaient en France une harmonie qu’on a vue disparaître depuis le triomphe des doctrines libérales en matière de travail et de concurrence, en particulier depuis la destruction violente des corporations. Telle est la conception de notre ancien état social qu’entretiennent M. de Mun et M. Charles Périn et qu’ils ont mainte fois développée : « Nous croyons, s’écriait avec éloquence M. de Mun, à l’une des assemblées générales de l’Œuvre des cercles, nous croyons que jadis ce qui faisait la force de la société, ce qui assurait la protection des faibles et l’abri des travailleurs, c’était un sentiment qui n’existe plus beaucoup dans la société moderne, c’était le dévoûment. Nous croyons qu’autrefois il pouvait y avoir des abus, il pouvait y avoir des excès, il pouvait y avoir des violences, et certes, ce n’est pas ce qui manque à notre temps ; mais il y avait pourtant d’un bouta l’autre du pays une tradition fortement établie, une obligation de ceux qui étaient en haut vis-à-vis de ceux qui étaient en bas, acceptée des uns et des autres, et qui s’appelait le patronage des classes élevées vis-à-vis des classes inférieures. Voilà ce qui existait jadis, ce qui était la règle des anciennes sociétés, et voilà ce que nous aspirons à rétablir dans la nôtre… Ce que nous voulons, c’est préparer un régime nouveau qui renoue la chaîne violemment brisée des anciennes traditions, et qui, sur le fondement des lois éternelles de l’humanité rende à notre pays par des institutions nouvelles la paix sociale que la révolution a détruite. »

« La corporation des âges chrétiens avait trouvé, dit de son côté M. Périn, une solution qui donna aux classes industrielles des siècles de paix et de bien-être. Son organisation répondait parfaitement à l’état économique de sociétés qui se tenaient plus que les nôtres renfermées en elles-mêmes et qui n’avaient que des forces mécaniques de médiocre importance. Elle procura à toutes les classes vouées au travail le bienfait inestimable d’une certaine fixité des salaires et des profits avec la stabilité des positions. Entre les travailleurs de tout rang qui composaient les communautés des métiers il y avait cette solidarité qui est de la nature de toute œuvre industrielle et sans laquelle tout souffre dans le travail. Le grand problème de ces temps-ci, pour l’ordre économique, est de rendre à la société, sous la loi de la liberté du travail, cette solidarité de la vie industrielle que nos pères avaient établie sous la loi de la restriction et de la réglementation. »

Qu’y a-t-il de vrai dans cette conception de notre ancien état social ? La question vaut la peine de s’y arrêter, car, s’il fallait la tenir pour tout à fait exacte, rien ne saurait être plus pressé que d’en revenir aux institutions qui auraient assuré à la France