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arrive est manifestement la suite d’une politique qui, depuis la première heure, n’a jamais su ni prévoir ni vouloir, qui, par ses hésitations et ses contradictions incessantes, a laissé s’aggraver ces affaires d’Egypte et du Soudan, devenues presque inextricables.

Aujourd’hui il ne s’agissait plus seulement de sortir de ces embarras par un acte de volonté énergique et prévoyante, par un déploiement de forces devant lequel on ne pouvait plus reculer ; il s’agissait d’abord de gagner une première bataille devant le parlement, de rallier une majorité émue elle-même des derniers événemens, et M. Gladstone a posé la question avec la supériorité de sa raison en déclarant qu’il ne serait pas avantageux pour l’Angleterre d’offrir aux autres nations le spectacle d’un gouvernement déconsidéré et d’une chambre sans confiance, en réalité, si le parlement s’était senti tout à fait libre, il aurait bien pu répondre au chef du ministère par un témoignage de mauvaise, humeur, en s’associant à une motion de censure plus ou moins mitigée ; c’était d’autant plus à craindre que M. Gladstone ne s’est pas expliqué d’une manière bien nette, qu’il a gardé une certaine réserve dans sa défense, dans l’exposé de sa politique, et que, d’un autre côté, même dans son parti, parmi les libéraux, il y avait des susceptibilités, des inquiétudes, des impatiences, dont M. Goschen s’est fait l’organe résolu et éloquent, M. Goschen, qui a une sérieuse importance, n’a pas fait précisément un discours d’opposition ; il n’a pas du moins hésité à déclarer qu’il entendait réserver son opinion, qu’il ne s’associerait à un vote favorable que s’il obtenait des explications suffisantes sur les intentions du gouvernement, sur ce qu’on se proposait de faire à Khartoum, à Berber, à Souakim, en un mot sur toute la politique de l’Angleterre dans la vallée du Nil. L’intervention et le langage de M. Goschen ont certainement leur gravité ; ils attestent sous une forme particulière la scission parmi les libéraux. Ce qui a pu toutefois garantir encore le ministère d’un échec trop décisif, c’est la difficulté qu’il y aurait à le remplacer. Que lord Salisbury ait déclaré tout récemment qu’il était prêt à prendre avec son parti la direction des affaires, c’est possible, il est dans son rôle. Évidemment la campagne qu’il poursuit n’a d’autre but que de renverser le ministère et de le remplacer ; mais c’est une crise intérieure ajoutée à une crise extérieure, en plein inconnu pour ainsi dire, sous un nouveau régime électoral, et de plus, ce serait peut-être une aggravation sensible de la situation diplomatique, après les paroles acerbes que le chef des conservateurs a prononcées dernièrement contre la Russie. Les tories peuvent sans doute essayer de se rapprocher de l’Allemagne ; seulement ils seront obligés alors de faire à M. de Bismarck de sérieuses concessions sur la politique coloniale ; au demeurant, c’est un grand trouble. C’est ce trouble même qui a sans doute servi le ministère, au moins