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une place dans le calendrier local et un jour natal dans le martyrologe romain ; qu’on leur avait dans le même temps composé des Actes, et qu’en 1725, leur culte ayant déjà trente-huit ans de date, on leur avait décerné l’honneur du titre de patrons de la cité. De là suivait qu’ils n’étaient rien que des intrus dans le catalogue des martyrs et des saints. Cette conclusion ne plut ni à l’église de Bergame ni à son évêque, et celui-ci, défenseur attitré des patrons de son diocèse, fit appel du jugement des bollandistes à celui de Borne. La congrégation des rites, saisie dans les formes, rendit, le 20 août 1870, l’arrêt suivant : « Les argumens allégués contre la tradition qui concerne les saints en question ne prouvent rien. » Décision étrange, qui n’a d’autre but évidemment que de rassurer de pieux scrupules et de mettre en repos des consciences alarmées, mais qui semble annuler des raisons inéluctables et casser une solution historique très solidement établie. Dans les travaux d’esprit, et en particulier dans les études d’archéologie et d’histoire, un décret d’autorité révisant une solution ne vaut que ce que valent les raisons sur lesquelles il repose. Non probant est bientôt dit. C’est le pourquoi qui importe, que l’on cherche, que l’on voudrait connaître, que l’on ne trouve pas et qu’on ne peut deviner. C’est quelque chose, il est vrai, qu’une possession d’état de plus de deux siècles. La loi civile n’en demande pas tant pour fonder le droit. Mais il n’en va pas de même pour la vérité scientifique ou historique. Une ancienne erreur peut être commode à la paresse de l’esprit ; il est douteux qu’elle soit solidement utile à personne ; il est faux que son âge la fasse vraie. La vérité n’est fille du temps qu’en ce sens qu’il la révèle d’âge en âge aux générations qui se succèdent et s’éclairent peu à peu. Il y a en histoire, comme en toute autre matière, de vieilles erreurs et de jeunes vérités. Les dernières seules sont dignes de respect et vraiment sacrées. De l’homme d’étude qui a démontré que saint Quartus et sainte Xynoris ne sont rien que des mots vides, qui osera dire qu’il a diminué la religion dans le monde, mal servi les intérêts de la piété et mal mérité de l’église ? Celle-ci est née et a grandi sur les ruines des idoles. Ce n’est pas sans doute pour en proposer d’autres aussi vaines et aussi ridicules aux adorations de l’humanité.

Après et malgré le décret de la congrégation des rites, qui n’est rien en somme qu’un jugement sur un travail d’archéologie historique, l’article des bollandistes demeure comme un témoignage de la sagacité critique de celui qui l’a fait : on peut souhaiter à Rome un supplément de raisons, mais il est loisible aussi d’estimer que celles qu’on a données à Bruxelles sont très suffisantes pour permettre de reléguer les martyrs de Bergame dans cette région des