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cuirassé qui fait de la fumée avec toute son artillerie, il est impossible qu’un pour le moins, même au grand jour, même en pleine lumière, n’atteigne pas le but. La seule difficulté, c’est de franchir la ligne des bâtimens d’avant-garde ; de cette première attaque dépendra l’issue de la bataille. Pour qu’elle réussisse, les groupes de combat auront, suivant les circonstances, diverses formations à prendre. Il y a là, sans nul doute, une tactique à créer. On l’étudié dans les marines étrangères. Jusqu’ici, la France ne s’en est point occupée. Elle va le faire, dit-on. Nous nous en réjouissons. Mais qu’on se hâte : il n’est que temps !

Au reste, dès aujourd’hui, on peut énoncer les principes sur lesquels reposera cette tactique. Ils sont au nombre de trois : 1° vitesse, 2° nombre, 3° invulnérabilité des instrumens de combat par leurs petites dimensions et par leur rapidité d’évolution. On a déjà proposé de grands torpilleurs, de grandes canonnières, des torpilleurs-canonnières plus grands encore. On a cherché à les blinder pour protéger leurs œuvres vives. Autant d’erreurs qui prouvent qu’on ne s’est pas rendu compte de la vraie nature des nouveaux instrumens de la guerre maritime. Le mérite des groupes de combat que nous venons de constituer, c’est de posséder l’avantage que les hommes dispersés en tirailleurs ont sur une troupe réunie en colonne serrée. Ils combattent en longues lignes, suffisamment éloignés les uns des autres pour que les projectiles passent le plus souvent entre eux sans les frapper ; ils sont assez mobiles et assez nombreux pour envelopper l’ennemi. Dans une attaque telle que nous venons de l’imaginer, leur première ligne peut être détruite en tout ou en partie ; mais à peine sera-t-elle atteinte que la seconde s’avancera sans donner le temps à l’escadre assaillie de recharger ses pièces et de continuer son feu. D’ailleurs une sorte de mêlée générale suivra l’assaut des bâtimens d’avant-garde, protecteurs de l’escadre. Ceux d’entre ces derniers qui ne seront pas culbutés, se voyant dépassés, se retourneront pour poursuivre l’assaillant. Au milieu du tous ces petits navires unis, embrouillés, confondus, comment les cuirassés reconnaitraient-ils les leurs pour ne tirer que sur les autres ? Et jusqu’ici, nous n’avons parlé que des combats de jour, qu’il faudra éviter avec le plus grand soin, ce qui sera toujours possible, afin de ménager le matériel. Mais, la nuit, les chances de l’assaillant seront bien plus grandes encore. Les torpilleurs de défense disperseront leurs adversaires pendant que les canonnières tireront sur les lampes électriques de l’escadre afin de lui enlever tout moyen de résistance. Alors les torpilleurs d’attaque feront leur œuvre pour ainsi dire à coup sûr. Ils ne courront même pas de bien graves dangers. La