Mais il n’y a rien de plus débilitant pour les âmes les mieux trempées, pour les courages les plus hardis, que le doute, que l’indécision, que ces périls insaisissables qu’on ne peut prendre corps à corps pour les combattre, qui glissent dans la nuit comme des fantômes et qui se transforment subitement en d’épouvantables réalités à l’heure même où, fatigué d’une tension incessante, l’attention s’affaisse, l’énergie retombe sur elle-même, vaincue et brisée, non par la crainte, mais par la lassitude.
Si la guerre d’escadre est devenue impossible, depuis l’invention des torpilles automobiles et des torpilleurs autonomes, on voit donc que les seuls avantages qu’on retirait des victoires d’escadre, l’empire de la mer et ses suites d’autrefois, sont devenus plus impossibles encore. En revanche, la guerre de course, cette arme du faible contre le fort, acquiert par cette invention des facilités nouvelles et une efficacité merveilleuse. En détruisant le blocus, le torpilleur permet d’abord que toutes les côtes d’un grand pays servent de point de départ et de point de ravitaillement aux croiseurs. Ceux-ci peuvent en sortir, ils peuvent y revenir après une campagne pour refaire leur charbon ou déposer leurs prises, s’ils en ont, sans risquer d’y être enfermés par une escadre ennemie. Ils sont les rois de la mer, ou ils restent maîtres de narguer de loin les lourds et lents cuirassés, de filer à leur approche avec une vitesse très supérieure, de traverser même leurs lignes pour forcer un blocus, comme les fameux blockade- runners de la guerre de la sécession. Mais ce n’est pas tout, car une autre guerre de course, la course par microbes, si l’on me permet de parler ainsi, fera certainement son apparition dans le monde au prochain conflit maritime. Ces bateaux minuscules, torpilleurs et canonnières, qui seront si efficaces dans l’attaque des escadres, ne feront pas moins de mal à la marine de commerce. Pourvu qu’ils soient escortés d’un transport capable d’échapper par sa vitesse aux menaces des cuirassés, ils tiendront longtemps la mer, invisibles et ignorés, toujours prêts à fondre sur un ennemi désarmé ou insuffisamment armé. Et quelle nation maritime, si pauvre qu’elle soit, ne possédera pas les ressources suffisantes pour se procurer des engins de guerre aussi peu coûteux ? C’est une des conséquences à la fois les plus terribles et les plus belles des immenses progrès de l’invention moderne, que le peuple le plus riche, le plus puissant, le mieux outillé, puisse se trouver à la merci d’un adversaire qu’il aurait jadis écrasé en quelques heures ; que l’admirable mécanisme de sa prospérité matérielle puisse être démonté par une main qui s’y serait brisée naguère en essayant seulement d’y toucher. L’Angleterre éprouve en ce moment, en présence de l’insuffisance de sa marine militaire,