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transports ennemis ? On sait avec quelle rapidité la frégate américaine, de 60 canons, le Congrès, s’abîma et disparut dans les flots, sous les coups du Merrimac, grossière et imparfaite ébauche de nos béliers actuels. Plus de 200 hommes trouvèrent la mort dans ce sanglant épisode de la guerre américaine, bien que le Congrès fût mouillé près du rivage. Qu’on juge dès lors des risques auxquels serait exposée l’armée de débarquement dans une des nuits de navigation forcée, loin de tout secours[1] ! » Ce premier danger évité, en supposant qu’on y parvint, que deviendrait, en présence des nations armées d’aujourd’hui, un corps de 30,000 hommes ne pouvant se ravitailler que par l’escadre, qui l’aurait porté, obligé par conséquent de conserver toujours la mer comme base d’opérations ? A peine débarqué, ne serait-il pas entouré, enveloppé par des masses supérieures, écrasé sous le nombre, forcé de fuir au plus vite le rivage où il se serait aventuré ? Lorsqu’on parle de ces combinaisons d’autrefois, on oublie que les conditions de la guerre continentale ne sont pas moins modifiées que les conditions de la guerre maritime, et que les forces qu’il faut meure en mouvement pour frapper un coup décisif sont si nombreuses qu’elles ont besoin d’être appuyées sur quelque chose de plus solide que les vagues de la mer et les vaisseaux d’une flotte de transports. Dans une guerre continentale, c’est encore la course qui peut faire le plus de mal à l’ennemi. En 1870 et 1871, notre situation ne se serait-elle pas aggravée, notre résistance n’aurait-elle pas été raccourcie de plusieurs mois, si des croiseurs allemands avaient arrêté les nombreux navires qui nous portaient les armes et les approvisionnemens destinés à remplacer ceux que nous avions livrés à l’Allemagne à Sedan et à Metz ? Nos arsenaux étaient vides, notre industrie bien lente ; mais tous les marchés du monde nous étaient ouverts, et nous y puisions à pleines mains. Même au milieu de ces épouvantables désastres, nos relations commerciales avec les étrangers se maintenaient, notre richesse extérieure n’était point atteinte, le travail national n’était point frappé de mort. De là vient qu’à la paix notre prospérité s’est rétablie si vite. Il en eût été bien autrement, si tout ce que nous avions de navires de commerce avait été détruit ou capturé, si nos relations avec l’Algérie avaient été coupées, si nos perles avaient égalé nos malheurs. Alors la ruine eut accompagné la défaite et en eût cruellement aggravé les conséquences. Quelle diversion sur nos côtes aurait pu produire d’aussi grandes catastrophes ?

  1. Amiral Aube, les Réformés de notre marine militaire.