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conflit entre la France et l’Angleterre ; supposons même, pour complaire aux partisans de la guerre d’escadre, notre flotte détruite ou bloquée par les escadres anglaises : la marine marchande, sur laquelle repose l’alimentation et l’industrie de nos voisins, en serait-elle moins menacée ? Des croiseurs s’échapperaient sans cesse des côtes de nos trois mers pour gagner au large les grandes routes commerciales maritimes. Elles ne sont pas nombreuses, ces routes où circule la richesse du monde, où se développe la vie de cet immense empire britannique qui couvre le globe et dont elles forment en quelque sorte les artères ; on en compte cinq ou six, dix tout au plus, qu’il nous serait facile de parcourir continuellement. Sans doute, de formidables places fortes, telles qu’Aden, Malte, Gibraltar, les défendent ; mais qu’importe ? Ce n’est pas sous le feu de ces forteresses que nos croiseurs iraient accomplir leurs exploits. Ils éviteraient, au contraire, tout danger connu et possible à éviter. La guerre de course a ses règles qu’il faut avoir le courage d’exprimer avec une parfaite netteté : tomber sans pitié sur le faible et fuir sans fausse honte de toute sa vitesse devant le fort, telle en est la formule. Du plus loin que les croiseurs apercevraient une forteresse ou une escadre ennemie, ou même un navire de guerre d’une qualité non pas supérieure, mais égale à la leur ; dès, qu’en un mot, ils entreverraient une résistance capable d’entraver leur mission de destruction, ils s’envoleraient à toute vapeur, n’ayant garde d’accepter un combat inégal. Mais il leur resterait l’immensité des mers, qu’ils sillonneraient sans cesse pour couler les navires de commerce, pour interrompre toutes les communications de l’adversaire avec ses colonies et avec le reste du monde. L’auteur de la Bataille de Dorking vient de nous dire quelles seraient les conséquences, pour l’Angleterre, d’une campagne maritime ainsi conduite. Précisons-les davantage encore. L’Angleterre a importé l’an dernier 75 millions d’hectolitres de blé, — le chargement d’un millier de bâtimens, — nécessaires à sa consommation intérieure ; elle importe d’immenses quantités de bétail qu’elle tire surtout des États-Unis et du Canada, et, avec ces objets d’alimentation, le coton, la laine, l’alfa, les minerais, etc., dont ne peut se passer son industrie. Combien lui faudrait-il d’escadres pour escorter ces immenses convois, pour les préserver des coups des croiseurs ? Triplerait-elle, quintuplerait-elle sa marine militaire, celle-ci serait encore incapable d’assurer la sécurité de cette nuée de navires qui fait entrer annuellement 15 millions de tonnes dans les seuls ports de la métropole et qui répand dans le monde 17 millions de tonnes de produits des manufactures anglaises. A peine les hostilités seraient commencées, qu’on verrait se produire ce qui s’est