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démonstration pratique, de l’inutilité, de l’impossibilité du blocus, seul avantage de la victoire d’escadre, a été faite de la manière la plus éclatante. Les soixante navires lancés à la poursuite, de l’Alabama et des corsaires du Sud ont-ils empêché ceux-ci de continuer sur l’océan leurs entreprises désastreuses à l’ennemi ? La surveillance active exercée par les Chiliens sur les côtes du Pérou a-t-elle arrêté le Huascar et l’Union dans leurs audacieuses campagnes ? Et, durant les sombres mois de 1870-1871, la plupart de nos prises n’ont-elles point été l’œuvre de nos croiseurs isolés, bien qu’une fausse générosité en eût singulièrement restreint le nombre, tandis que nos Huttes de blocus n’ont fait et ne pouvaient faire subir, que des pertes insignifiantes à l’Allemagne ? La guerre de course se substituera donc nécessairement, fatalement, définitivement à la guerre d’escadre dans les conflits futurs entre nations maritimes. C’est en vain que la philanthropie, c’est en vain que le droit des gens veulent s’opposer à la force même des choses : par une de ces inconséquences qui ne sont point rares dans l’histoire, la course a été solennellement condamnée au congrès de Paris à l’heure même où elle allait devenir d’une nécessité telle, qu’en dehors d’elle il n’est plus possible d’imaginer comment les combats sur mer pourraient être autre chose que des passes d’armes aussi stériles que sanglantes, que des tournois factices où la grandeur des désastres n’aurait, d’égale que la faiblesse des résultats obtenus à si haut prix. Nous ne parlons pas seulement de l’avènement de la marine cuirassée, qui était sur le point de transformer les flottes des puissances en escadres composées d’un petit nombre de navires incapables, après une victoire, de faire la police des mers. Mais c’est au congrès de Paris que le principe des nationalités, d’où devait sortir la transformation de l’Europe, a reçu une première consécration, et en quelque sorte un baptême officiel, par la reconnaissance implicite de la légitimité des espérances du Piémont. Peu à peu l’Italie est née, puis l’Allemagne, et partout en Europe se sont constituées des unités nationales prêtes à revendiquer leur droit à la vie, c’est-à-dire à l’extension extérieure. Nous les avons vues lutter quelque temps pour l’existence, consacrant toutes leurs ressources à conquérir par les armes la puissance militaire, sans laquelle il n’y a pas de puissance politique. Mais dès qu’elles se sont crues assurées de leurs frontières continentales, elles se sont tournées vers les mers, d’où vient toute richesse, d’où naît toute prospérité. A peine libres, elles s’étaient mises au, travail, elles s’étaient donné une industrie ; il leur fallait, un commerce. Or, le commerce ne se développe qu’en se créant dans le monde entier des débouchés et qu’en rapportant du monde entier les matières premières, aliment nécessaire aux