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vaisseaux, 3,114 canons et un peu moins de 20,000 hommes, contre une centaine de vaisseaux, 4,000 canons anglais, 2,614 canons hollandais et 42,000 hommes, Tourville sut les tenir en échec durant toute une journée et se retirer sans désastre, grâce à l’habileté avec laquelle il conserva l’avantage du vent, grâce aussi à la maladresse des Anglais, qui, au lieu de prendre, comme tout leur commandait de le faire, les Français entre deux feux, s’ouvrirent un passage entre leur ligne afin de rejoindre les Hollandais, dont ils étaient coupés.

Voilà l’histoire du passé, l’histoire de la marine à voiles, histoire d’hier par la date, histoire déjà bien ancienne par les conditions qui la rendaient possible. Depuis lors, deux grandes révolutions se sont produites : celle de la vapeur d’abord qui a suffi à faire évanouir en fumée les principes de l’ancienne tactique, ensuite celle de la torpille, plus importante encore et d’un effet beaucoup plus radical. Examinons d’abord la première ; et, pour donner à cet examen toute sa valeur, demandons aux tacticiens, aux stratégistes, aux critiques maritimes quel changement elle a apporté à ces règles, à ces méthodes du combat naval dont nous venons de constater le caractère absolu, universel, rigoureusement scientifique. Sur ce point, ce qui nous frappe tout d’abord, c’est une variété d’opinions et de jugemens, une contradiction de doctrines, et, comme eût dit Montaigne, un « tintamarre de cervelles » vraiment extraordinaires. L’exemple même des quelques combats qui ont eu lieu dans ces dernières années n’a nullement modifié l’indécision générale. La seule bataille d’escadre qui puisse nous donner des leçons, la bataille de Lissa, n’a mis en relief aucune vérité incontestable devant laquelle tout le monde se soit incliné. Il semblait pourtant qu’elle eût confirmé la prédiction que, bien des années auparavant, l’amiral de Jonquières, alors simple lieutenant de vaisseau, avait faite sur les conséquences de l’invention de la vapeur. « Grâce à la vapeur, écrivait-il, les navires se meuvent en tous sens avec une telle rapidité que les effets du choc peuvent, et, qui plus est, doivent remplacer les armes de jet et annuler les calculs d’une manœuvre savante. » Inutilité ou plutôt impossibilité d’une manœuvre savante, efficacité du choc : tels sont bien, en effet, les indications que les tacticiens ont retiré de la bataille de Lissa. Mais ne croyez pas qu’ils soient parvenus à en déduire de nouvelles règles de combat. Conduit à étudier la bataille de Lissa dans un de ses plus savans mémoires, l’amiral Bourgois s’exprime de la manière suivante : « Nous n’ajouterons rien à ce qui a été dit sur la faute commise par l’escadre italienne en se formant en ligne pour combattre et sur le mérite de l’ordre des Autrichiens ; mais nous dirons avec une entière conviction qu’aucune des circonstances, ni même le signal hardi de courir