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et suivant quelle méthode devront être organisées ces flottilles légères que nous proposons de substituer aux lourdes flottes d’aujourd’hui. Problème vaste et complexe, d’autant plus difficile à résoudre qu’on ne peut s’appuyer pour le faire sur l’expérience acquise en demandant des leçons au passé. Il suffit de jeter un regard sur les marines modernes pour reconnaître qu’elles ne ressemblent en rien aux marines anciennes. Qu’y a-t-il de commun entre nos escadres actuelles, composées d’unités de combat si diverses, si hétérogènes, et les escadres uniformes d’autrefois ? A l’ancien vaisseau de ligne, partout et toujours le même, a succédé une variété de types qui changent de peuple à peuple, d’année en année, qui se modifient avec une rapidité telle qu’à peine l’un d’eux est créé, il est démodé. Le mouvement est si rapide, les inventions si multipliées, qu’on voit les bâtimens les plus dissemblables se mêler, se heurter dans la même marine, sans qu’on puisse dire lequel d’entre eux serait le plus propre à la guerre maritime et d’après quelles règles il faudrait les combiner tous pour les faire concourir à une action commune d’où dépendraient l’issue d’une grande lutte et les destinées des nations qui y seraient engagées.

Si l’on veut se rendre compte des véritables causes de cette sorte d’anarchie maritime, il faut se poser une question primordiale : que sera la guerre maritime de l’avenir ? quelles en seront les conditions et les conséquences ? On ne peut savoir, en effet, de quels instrumens on doit se servir lorsqu’on ignore et le but à poursuivre et les moyens de l’atteindre. Or, c’est cette incertitude qui plane en ce moment sur la marine. Pendant des siècles, les peuples qui ont prétendu à la suprématie maritime se proposaient un objectif parfaitement déterminé : l’écrasement des flottes de leurs rivaux dans une ou plusieurs de ces batailles d’escadre dont le succès donnait à la puissance victorieuse, pour une durée plus ou moins longue, ce qu’on appelait « l’empire de la mer. » Cette magnifique expression, si emphatique qu’elle fût, répondait fidèlement à la réalité. Le jour où une nation avait détruit d’un seul coup ou dans une série de combats décisifs toutes les forces navales qui pouvaient la tenir en échec, elle était bien vraiment maîtresse de l’océan, elle en avait la souveraineté, elle y régnait sans partage, elle ne souffrait pas que personne vint y entrer en concurrence avec elle. Il lui suffisait pour cela de bloquer les côtes de ses adversaires, d’en surveiller les ports, d’arrêter au passage les navires de commerce, de rendre impossible la sortie des croiseurs, enfin de laisser sans cesse l’ennemi sous la menace du débarquement d’une armée tombant tout à coup sur son territoire, diversion puissante d’où dépendait souvent l’issue d’une guerre. Une seule bataille pouvait assurer