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que l’a fait la Révolution, c’est-à-dire du clergé rétribué soumis à l’état et à la loi et contrôlé de très près par le pouvoir civil. Il tombera même bien plus bas, beaucoup trop bas, parce qu’il ne peut pas se réclamer comme l’église française du siège de Rome et qu’il ne se sent pas associé à la grandeur et à la majesté de l’établissement catholique. Il faut lire dans Macaulay[1] l’histoire des humiliations du clergé anglais au XVIIe siècle, particulièrement de ces ecclésiastiques inférieurs qui vivent de privations, cachent leurs misères et que les servantes seules daignent épouser. Quoi qu’il en soit, les abus et les dangers dont la société laïque se sent menacée, lorsque l’église réunit un grand prestige spirituel, un crédit politique considérable et l’influence attachée à d’immenses propriétés foncières, peuvent être considérés comme écartés définitivement à l’avènement d’Elisabeth. L’œuvre violente que la révolution de 1789 a entreprise en France contre le pouvoir ecclésiastique, n’a pas été épargnée à l’Angleterre ; mais elle était accomplie dès le milieu du XVIe siècle. La royauté s’en était chargée, de la même main dont elle avait achevé, trois siècles avant nous, une autre œuvre de 1789, commencée par la guerre civile : la ruine de la vieille noblesse féodale et l’élévation d’une classe moyenne politiquement et socialement comparable à la bourgeoisie moderne.

On démêle maintenant pourquoi les Anglais, s’ils n’ont pas évité une période de pouvoir arbitraire, n’ont pas eu besoin, pour s’en délivrer, d’une révolution politique, économique et sociale analogue à la nôtre. Dès le XVIe siècle, l’Angleterre était en possession de toutes les réformes essentielles que nous attendions encore en 1789, qu’il nous a fallu payer très cher et que nous avons même manquées en partie, pour avoir dépassé le but dans l’élan qui succédait à une souffrance trop longtemps endurée. Trois paradoxes apparens résument toute cette histoire. L’intensité extrême du pouvoir royal dans un siècle encore barbare a donné à l’Angleterre un parlement, représentant d’un pays homogène, organe du gouvernement libre. La concentration précoce de la haute féodalité en un corps d’aristocratie politique lui a donné l’égalité devant la loi et l’impôt, et l’a préservée des privilèges abusifs d’une noblesse de sang. Le développement hâtif de la centralisation, personnifiée dans les juges ambulans, à une époque où un établissement bureaucratique sédentaire était impossible, lui a donné l’administration du pays par lui-même, a suscité, exercé, consolidé le self-government local. Un peu plus tard, les traditions anarchiques de l’ancienne féodalité avaient disparu avec ses derniers représentans à la suite de la

  1. History of England, I, 323.