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distinctions fondées sur la naissance et l’extraction ne subsistent plus et qu’il est devenu nécessaire d’en chercher d’autres dans la richesse. Ici, c’est la fortune foncière, principe de sélection excellent, qui constitue le titre à des privilèges dont le premier, singulièrement onéreux, consiste dans la gestion gratuite de tous les services locaux. Le second, justifié par le premier, le suivra de près : c’est la participation au pouvoir politique par l’entrée au parlement.

Nous voilà en mesure de comprendre comment s’est formé le parlement anglais. Le noyau de cette assemblée, le premier cristal auquel les autres sont venus s’agréger, est ce magnum concilium où figuraient dès l’origine les grands vassaux ecclésiastiques et laïques. Je ne me mêle pas de déterminer à quel titre les premiers y siégeaient. Était-ce à raison d’un fief, d’une baronnie ou de leur caractère spirituel ? Le fait, bien plus décisif ici que le droit, est qu’ils appartenaient en grand nombre aux familles des grands vassaux, qu’ils avaient tous des domaines d’importance et de nature baronniale, soumis aux mêmes services et aux mêmes impôts que ceux de leurs collègues laïques[1] et qu’on les traitait volontiers de « barons comme les autres » (sicut barones cœteri)[2]. Ces deux ordres de magnats, rapprochés par tant de conditions communes, ont formé à eux seuls le grand conseil du souverain jusqu’au milieu du XIIIe siècle. La tradition de cette activité conjointe et prolongée a conjuré le péril d’une séparation tranchée entre les deux ordres de la noblesse et du clergé, cette même séparation qui paraît en France avec les états-généraux et qui s’est perpétuée jusqu’en 1789. Là encore, la constitution précoce d’une aristocratie politique a eu des résultats d’un prix inestimable.

C’est environ trente ans après l’institution régulière de la justice ambulante que la classe des chevaliers, relevée par l’importance des devoirs qu’elle accepte et des services qu’elle rend à l’état dans l’administration locale, secondée et suppléée par toute la haute classe des propriétaires libres, commence à se rapprocher du parlement. Ce n’est pas elle qui en demande l’entrée. La force des choses se charge de l’introduire. Devenue à ce point nombreuse, compacte, active, elle est une puissance que ni le roi ni les barons ne peuvent négliger de concilier à leur cause. Ce sont eux qui vont la chercher, l’inviter, la presser. En 1213, au cours de la lutte qui

  1. Les taxes sur les fiefs tenus par le clergé sont votées avec les taxes sur les fiefs tenus par des laïques. Les taxes sur les spiritualités sont votées ou octroyées à part.
  2. Il est remarquable que « la position du clergé comme élément du commun conseil n’est pas définie par la grande charte séparément de celle des autres tenans in capite. » (Stubbs.)