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foncier égale 20 livres sterling, de quelque seigneur et à quelque titre qu’ils tiennent leurs terres. Cette prescription fut répétée depuis à plusieurs reprises ; elle montre à quel point le cours des temps et la force des choses avaient mélangé les deux classes, soit en faisant monter dans la première les propriétaires libres opulens, soit en faisant descendre dans la seconde les chevaliers qui avaient laissé se diviser leurs domaines[1]. En somme, dès le XIIe siècle, les chevaliers paraissent avoir pris en grande majorité les goûts et les mœurs d’une classe agricole[2]. L’organisation militaire qui prévaut à la fin du XIVe siècle marque le terme de cette évolution. Le service obligatoire et gratuit imposé aux terres de chevalier a disparu[3] ; l’impôt qui le représente cesse d’être perçu. Le noyau de l’armée royale, celle qui fait les expéditions au dehors, se compose de barons remuans et belliqueux qui réunissent autour d’eux des gens de pareille humeur. Ils vendent au roi, à deniers comptans, le secours de leurs régimens d’aventuriers. Le gros des anciens chevaliers se tient de plus en plus à l’écart de ces bandes de condottieri. Beaucoup ne portent même plus le titre de chevaliers, ce sont des esquires, des gentlemen « capables d’être faits chevaliers », dit une ordonnance de 1446, qui prescrit de choisir parmi eux, faute évidemment de chevaliers en titre, les candidats aux places de shérif. Ils portent cependant les armes, mais c’est avec toutes les autres classes de la nation et pour le maintien de la paix dans leur comté. Une ordonnance enjoint à tout homme libre de s’armer selon sa fortune, les uns avec la cuirasse, le bouclier et la lance, les autres avec la simple cotte de maille ou le pourpoint. Ils forment une sorte de gendarmerie intérieure[4], de garde nationale qui ne repose plus sur l’ancienne base féodale et dont les fonctions sont toutes civiles et de police. C’est surtout la persistance de l’esprit et de la vocation militaires qui a conservé à la noblesse française jusqu’en 1780 une position à part au milieu des autres classes de la nation. Ici, l’esprit militaire a disparu, si ce n’est chez quelques grands seigneurs d’aventure destinés à s’entre-détruire et à disparaître avant le XVIe siècle. À

  1. Stubbs, III, 545.
  2. Déjà, en 1074, dans l’espèce de manifeste répandu par les barons normands contre le roi Guillaume Ier, il est parlé sur un ton d’envie des Anglais qui cultivent en paix leur terre, boivent ou tiennent table, tandis que leurs vainqueurs sont obligés de faire la guerre sur le continent. (Stubbs, I, 291.) — Nolens vexare agrarios milites. (Charte de Henri II.)
  3. Stubbs, III, 540.
  4. Aux termes d’un acte 25, Éd. III, ch. VIII, il n’est pas permis de faire sortir cette milice de son comté, sauf dans un cas de pressante nécessité constaté par le parlement, ni du royaume, en quelque cas que ce puisse être. (Gneist, I, 209.)