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III

Essayons maintenant de rejoindre, dans leurs comtés, les petits vassaux directs de la couronne et recherchons ce qu’ils y deviennent. Les premières tendances qui s’accusent et le premier mouvement qui se dessine sont d’un caractère tout féodal. Les fiefs de chevaliers, inconnus au lendemain de la conquête, s’établissent rapidement et sont déjà très nombreux vers 1100[1]. Ce sont des domaines déterminés auxquels la charge du service militaire est spécialement attachée, au lieu de peser indistinctement sur les terres du manoir. De là, comme sur le continent, une distinction très nette entre deux natures de propriété : propriété noble et propriété ordinaire ; la première, tenue à condition du service des armes, et soumise, tant à la règle stricte de la primogéniture qu’à des droits d’aide, de garde et de mariage très onéreux pour les détenteurs[2] ; la seconde, tenue en « libre socage, » — c’est le terme juridique, — et affranchie des plus lourdes des obligations féodales. La tenure militaire a pour conséquence une première fusion entre les vassaux directs de la couronne et les vassaux des seigneurs ou arrière-vassaux qui occupent la terre à ce même titre[3]. Mais elle semble de nature à séparer profondément les uns et les autres de la masse des propriétaires fonciers ordinaires et à constituer les chevaliers en une classe à part, en une sorte d’ordre équestre hautain et fermé.

D’autres causes plus puissantes que l’esprit féodal ont écarté le péril. Premièrement, l’Angleterre du XIIe siècle était l’un des pays de l’Europe où il y avait le plus d’hommes libres, c’est-à-dire de propriétaires libres, — les deux choses sont alors identiques, — à côté et en dehors de la chevalerie féodale[4]. C’étaient, soit des Normands de condition inférieure qui avaient suivi ou rejoint

  1. Stubbs, I, 261.
  2. Hallam, III, 54.
  3. Gneist, I, 171.
  4. Turner, liv. III, ch. IX.