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ces circonscriptions départementales dont la constituante de 1789 se servit pour briser les antiques cadres du provincialisme. Il n’y a pas trace de provincialisme en Angleterre après 1100. Par une conjonction singulière de circonstances, l’unification du territoire et de l’esprit national, que nous devions attendre sept siècles encore et n’accomplir que par une révolution si violente qu’elle a emporté en même temps ce qui restait de nos libertés locales, était un fait acquis au moment où l’Angleterre entre, sous la dynastie des Plantagenets, dans la grande histoire européenne.

Une dernière remarque : sur ce territoire homogène, chez ce peuple affranchi des prétentions et de l’égoïsme de l’esprit provincial, règnent de bonne heure une seule loi, une même coutume. Vers la fin du règne de Henri II, toutes les différences locales importantes ont disparu. De ce côté aussi, l’unité nationale est acquise. Les juges itinérans l’affermissent définitivement en moins d’un siècle. Délégués d’une même cour siégeant à Londres, membres dès l’origine du grand conseil qui fut le noyau du parlement, coauteurs et exécuteurs des grandes ordonnances royales ; plus tard interprètes officiels de la législature et rédacteurs des statuts qui traduisent ses vœux, ils apportent dans les localités une hauteur, une généralité et une constance de doctrine qui ont rapidement raison des usages particuliers. Les justices seigneuriales et locales sont trop faibles pour servir longtemps de refuge à ces usages ; elles disparaissent de bonne heure et sont remplacées par une organisation nouvelle, celle des « juges de paix, » collège administratif et judiciaire commissionné par la couronne pour tout le comté et plus ouvert à l’esprit de la juridiction supérieure. Dans la société en travail et en progrès que les juges ambulans parcourent en tous sens, après le siècle de désordre qui a suivi la conquête, les races, les classes, les individus ont intérêt à faire fixer leurs droits respectifs. La jurisprudence que ces hauts personnages développent en leurs circuits périodiques et la législation qu’ils inspirent à leur retour auprès du roi sont très abondantes ; elles embrassent bientôt tout l’ensemble des relations sociales, elles y introduisent sans effort l’uniformité. Après Etienne, les trois lois wessexienne, mercienne, danoise, qui se partageaient le royaume, cessent d’être mentionnées[1] ; à partir de Henri II, l’Angleterre n’a plus, sauf quelques exceptions étroitement locales, qu’une seule loi coutumière, la common law, la même pour tout le territoire.

En France, c’est sous Henri III, au Vie siècle, que s’achève la rédaction des coutumes ; on en trouve deux cent quatre vingt-cinq,

  1. Stubbs, I, ch. XIII.