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qu’au jour où l’un des chefs saliens assujettit les autres et réussit à se faire proclamer roi par tous les guerriers des deux groupes. Jusqu’au jour où Charlemagne réunit tous les états germaniques sous sa domination en un seul empire, ce mouvement unitaire s’accentua de plus en plus pour se défaire de nouveau après la mort du grand empereur et aboutir à l’émiettement, à la dispersion, à l’anarchie du système féodal.

Depuis la terreur cimbrique jusqu’à la chute définitive de l’empire romain sous les coups de ses envahisseurs, la multiplication des Germains, venant battre les frontières comme les flots d’un océan humain, passe pour effrénée. Pourtant cette multiplication n’atteignait pas, même de loin, les proportions actuelles de l’excédent des naissances sur les décès. La natalité avait beau être excessive, elle était contenue par une mortalité très forte, inévitable avec un genre de vie rempli de privations. Sur un territoire mal cultivé, la densité de la population ne pouvait atteindre le degré constaté aujourd’hui. En regard de quelques centaines de mille combattans dont les historiens parlent comme de masses formidables aux prises avec les Romains à certains momens, l’Allemagne est en état d’armer maintenant et de mettre sur pied des millions d’hommes. A propos du groupement des populations à différentes époques, les écrivains anciens mentionnent à l’intérieur de la Germanie les noms de cinquante peuplades indépendantes les unes des autres. Ces noms ont disparu, la plupart, au temps de Tacite, vers le milieu du premier siècle de l’ère chrétienne. A peine restait-il alors quelques-uns des peuples nommés primitivement, parmi lesquels les Frisons, les Hessoîs, les Saxons. Des changemens continuels modifiaient incessamment la distribution reconnue en un moment donné.

Fait digne de remarque, ce sont les tribus occidentales de souche suève, celles dont le déplacement a été relativement le moins étendu, qui ont surtout changé de nom. Au contraire, les populations gothiques ou les tribus orientales ont mieux conservé leurs dénominations anciennes, quoique arrachées entièrement de leur ancienne patrie et emportées par les migrations dans des contrées lointaines. Langobards, Vandales, Burgundes, Goths, Gépides, Hérules et Rugiens gardèrent jusqu’à leur disparition les noms sous lesquels ils ont été connus dès l’origine. C’est que les Germains de l’Est quittèrent en masse leurs sites antérieurs en maintenant leur identité pendant leurs migrations en Gaule, en Italie, en Hongrie, en Espagne et en Afrique. Des provinces modernes, la Bourgogne en France, la Catalogne et l’Andalousie en Espagne, la Lombardie en Italie, portent encore le nom de quelques-uns de ces peuples longtemps après leur absorption dans les nationalités ita-