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Danube et retourner vers l’ouest du côté des Alpes, en portant devant eux la terreur dans Rome. Lors de ces déplacemens des peuples germaniques, non plus que dans l’émigration de nos jours, tout le monde ne partait pas à la recherche d’une nouvelle patrie. Une partie restait sur le territoire déjà occupé, et maintes fois les émigrés revenaient dans leur patrie ancienne après d’aventureuses pérégrinations. Une quantité de communautés langobardes demeura en Westphalie au commencement du Ⅴe siècle, après le départ de leur peuple pour l’Italie, de même qu’une partie des Cimbres s’était maintenue antérieurement dans la péninsule cimbrique, lors de l’émigration qui aboutit à la catastrophe de Verceil.

Ceux qui émigraient emmenaient leurs troupeaux et des chars arrangés en forteresse aux temps d’arrêt. Ils s’avançaient lentement, au hasard, sans route déterminée, uniquement occupés de trouver des terres plus productives et d’une culture plus facile. Ils marchaient seulement pendant la belle saison. Venait le mauvais temps, ils s’arrêtaient. Chaque horde s’établissait sur les terres à sa convenance, quand ces terres étaient libres. Sur les terres déjà occupées, les nouveau-venus sollicitaient une part proportionnée à leurs besoins, toujours prêts à prendre par la force des armes ce qu’ils ne pouvaient obtenir de bon gré. Des luttes fréquentes éclataient entre peuplades voisines, et on en venait vite aux mains. Nos socialistes contemporains n’ont pas inventé la maxime : Ote-toi de là que je m’y mette. Les besoins impérieux d’une population prolifique à l’excès nécessitaient l’acquisition de moyens de subsistance suffisans pour sa conservation et son accroissement. Quoi d’étonnant que les Germains primitifs aient imaginé de bonne heure une politique coloniale fondée sur la violence ou sur le droit d’annexion ? Au lieu de s’appeler Bismarck et Molike, leurs hommes d’état avaient nom Teutobod et Bojorich. Alors comme aujourd’hui, les regards des Germains se portaient avec convoitise vers le merveilleux et riche pays entre le Rhin et les Pyrénées, dem wunderschönen reichen Lande zwischen Rhein und Pyrenäen, suivant la propre expression de Dahn, l’historien des origines germaniques. César mit un frein à ces prétentions par la défaite d’Arioviste dans la plaine d’Alsace. Par suite, la masse des envahisseurs se trouva reléguée sur le territoire de l’Allemagne actuelle, qu’elle s’appliqua à défricher avec la charrue, après l’avoir conquise par les armes.

Quel a été l’état social des populations germaniques à l’époque de leur apparition sur les confins de l’empire romain ? Primitivement elles paraissent avoir formé une multitude de tribus ou de hordes sans lien précis de communauté. La horde ou la tribu comprenait une association de familles d’origine commune. Au temps de César, les Suèves comprenaient une centaine de peuplades de même des-