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CHRONIQUE DE LA QUINZAINE.



14 février.

C’est en vain qu’on aura toujours des yeux pour ne point voir, qu’on se paiera d’illusions et de fictions complaisantes, la réalité ne restera pas moins ce qu’elle est ; on ne la changera pas en la déguisant pour essayer de se tranquilliser et de tranquilliser le commun des hommes. La réalité, de plus en plus frappante, de plus en plus inquiétante aujourd’hui, c’est qu’on est entré dans une phase obscure, laborieuse et pénible, où tout devient incertain et difficile, où peuples et gouvernemens ne savent plus trop où ils vont ni ce qu’ils ont à faire pour suffire aux besoins de tous les jours, aux problèmes, aux misères, aux malaises, aux embarras dont ils sont assaillis, qu’ils se sont trop souvent créés par leurs fautes. Sous toutes les formes se laisse entrevoir une crise qui n’est pas encore, si l’on veut, précisément violente, mais qui peut le devenir, qui n’est point irrémédiable, nous voulons le croire, mais qui est assez grave pour donner à réfléchir.

Cette crise obscure et pénible, on le sent bien, elle est partout, elle se manifeste par une multitude de symptômes et de phénomènes contemporains. Elle est dans la politique extérieure avec toutes ces entreprises qu’on engage au hasard, qui conduisent on ne sait où, peut-être très loin, justement parce qu’on ne sait pas où l’on va. Elle est dans l’agriculture qui se plaint, qui demande merci, dans l’industrie et le commerce qui souffrent de la diminution du travail, de la décroissance des transactions, des chômages et des grèves, dans les finances qui plient sous l’excès des dépenses et périssent par les déficits. Cette crise, elle est dans la vie politique intérieure, où les pouvoirs se déconsidèrent par l’incohérence et la médiocrité, où le sens des règles les plus simples, de l’équité supérieure dans les lois, des garanties libérales semble de plus en plus s’émousser. Elle est dans les affaires morales et même intellectuelles, où rognent des passions de secte