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scandaliser d’honnêtes gens, M. Becque n’y ajoute rien pour les faire condamner ni pour en faire rire : il les a notés en observateur sagace, il les transmet en artiste sobre ; il ne requiert pas contre le vice et ne le fait pas plus comique qu’il n’est. Qu’il le juge haïssable et vilain, on le devine au timbre de la vois avec laquelle il répète ses paroles, mais seulement à ce timbre, qui fait valoir l’ironie intime du discours. C’est en quoi M. Becque diffère d’un naturaliste pur, écho indifférent de la réalité, mais il n’en diffère que par là. Je me trompe ; il s’en distingue encore par deux traits : en constatant le vice, c’est-à-dire le mal chronique, il en laisse deviner les causes, — de quoi un naturaliste par ne se soucie guère ; il laisse un instant le malade pleurer sur son mal, — à quoi ce naturaliste ne saurait consentir. Mais ces causes ne se laissent que deviner, et cette larme du malade n’est que furtive. M. Becque, à n’y pas regarder de tout près, ne fait que montrer hardiment le mal. Il ne l’embellit pas des feux de la fièvre, ainsi que tel dramaturge ou romancier ; il ne l’excuse pas, non plus, par les cris de repentir du patient ; il ne le sauve pas par le ridicule, en prenant soin d’en outrer quelques symptômes. Le spectacle qu’il offre est donc celui qu’un professeur peut offrir dans une clinique, et les curieux de pathologie peuvent seuls s’y plaire ; le reste du public est rebuté, — c’est peut-être dégoûté qu’il faut dire.

A discerner les réalités qu’elle renferme, la comédie de MM. Labiche et Gondinet, le Plus Heureux des trois, n’est pas plus ragoûtante que la Parisienne. La complicité de l’héroïne et de sa femme de chambre n’est pas plus propre chez M. Labiche que chez M. Becque, ni la sensualité du mari et de l’amant plus discrète, ni leur promiscuité plus cachée. « Ce soir, j’irai lire mon journal dans ta chambre, dit Marjavel à Hermance ; » et comme, en attendant, on ira dîner chez Doyen, Ernest murmure à l’oreille de cette même Hermance : « Chez Doyen, il y a des bosquets. » Le lendemain, Ernest ne cèle pas que, d’une pièce voisine de l’alcôve, il a entendu à peu près ce que le fameux héros de Fanny a eu le malheur de voir du balcon : la Parisienne n’a rien de si scandaleux. Quand Marjavel a perdu « son Ernest, » on nous prédit « qu’il ne sera pas long à en retrouver un autre : » Clotilde n’est pas plus gourmande qu’Hermance. Et faut-il rappeler cette étrange succession des deux Jobelin auprès des deux femmes de Marjavel, cet oncle et ce neveu alliés par le mari qu’ils trompent, et ce fiacre unique, n° 2114, qui promène cette variété d’inceste ? Mais ce fiacre est conduit par Kuyssermann, le créancier de Krampach ; et Krampach a un hanneton dans sa culotte ; et Krampach, Marjavel, Hermance et les deux Jobelin cherchent à quatre pattes un diamant qui n’a jamais été perdu : ..voilà pourquoi toutes ces vilenies ne sont pas tristes, et, partant, point choquantes. Nous sommes dans le domaine de la bouffonnerie, et les horreurs ; deviennent drôles : honni soit qui mal y-pense ! Les tumeurs