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compagnon : « J’avais un ami excellent ; un second mari, autant dire. » Elle est Parisienne et bourgeoise : elle a une maison à tenir, une figure à faire dans le monde, et le tout à peu de frais. Elle est fort occupée ; sa tête est plus exercée que son cœur, et même que ses sens. Elle ne se soucie pas de rompre en visière à la société, mais de satisfaire ses appétits en gardant sa place régulière à table et sans troubler l’ordre du couvert. Elle gouverne son mari et son amant, et souvent l’un par l’autre ; elle désire qu’ils s’entr’aiment et qu’ils s’entr’aident, et, si elle le désire, c’est pour le premier plus que pour le second : pousser le mari dans sa carrière, n’est-ce pas pousser la fortune de la communauté ? Clotilde, mariée à un homme faible, Clotilde, femme d’énergie dans la lutte pour la vie, sinon dans la lutte contre les passions, est le chef de la famille : et pourquoi ne le serait-elle pas ? La famille est une machine qu’elle régit, et dont l’amant n’est qu’un rouage ; du moins, elle l’entend ainsi, et lui-même ne la contredit pas. Ne se ligue-t-il pas avec le mari pour l’empêcher d’aller chez une dame qui l’a invitée ? La raison de cette défense ? C’est que la dame a un amant.

Toutefois, à l’heure où la pièce commence, le rouage grince encore. Lafont soupçonne, à bon droit, qu’il est trompé ; il est jaloux, il l’est médiocrement et maladroitement, à la façon d’un nouveau mari. Pour être un mari en plein exercice, il ne lui manque que d’avoir acquis, après avoir été trompé, la sécurité de la résignation : il la possède à la fin, lorsque Clotilde a quitté l’amant de passage qui a fait obtenir une place à son mari : « La confiance, monsieur Lafont, dit Clotilde pour conclure, voilà le seul système qui réussisse avec moi. — Ç’a toujours été le mien ! » s’écrie le mari, le véritable, et ce mot est le dernier de la pièce ; Lafont, in petto, jure à l’unisson que désormais ce système sera aussi le sien : voilà, décidément achevé, l’organisme du ménage à trois. Dans l’intervalle de ce commencement à cette fin, la comédie que la jalousie de Lafont nous donne, c’est le Supplice d’une femme sans passion du côté de l’amant, sans remords du côté de la femme ; si l’un s’attache à l’autre, et si l’autre fait la feinte de se détacher de lui, mais la feinte seulement, c’est que l’habitude les tient ; et qu’est-ce qu’une telle habitude, sinon proprement le vice ?

C’est une étude de vice, encore une fois, que cette comédie qu’il vaudrait la peine d’étudier en détail et de commenter longuement. C’est d’une maladie de la sensibilité que l’auteur expose les phénomènes chez deux sujets. Ces phénomènes, quels sont-ils ? Des perversions de sentimens, dont l’expression naïve a son ironie secrète. L’amant, pour être rassuré sur un rival, accepte de la femme cette garantie que « son mari ouvre toutes ses lettres. » La femme, taquinée par la jalousie de l’amant, s’écrie : « Je ne suis plus tranquille que quand mon mari est là ! » Ces paradoxes naturels, qui pourront