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cependant pour le faire voir l’heure où cette identité se détermine ; ainsi sa comédie satisfait à la loi essentielle de la littérature scénique : elle a un commencement, un milieu et une un. La liaison craque à l’approche d’un nouvel amant ; elle se détend pour l’admettre ; après l’avoir admis, elle se resserre. Voilà, depuis le premier point jusqu’au dernier, la crise où le ménage à trois se constitue ; après cette épreuve, après ce cahot, qui a forcé l’amant à faire un écart et qui l’a un peu éloigné du mari, les deux font vraiment la paire : tiré par cet attelage, que la femme gouverne d’une main sûre, le char domestique roulera paisiblement dans l’ornière.

Dès la première scène, cette qualité d’adultère est marquée. De quelle façon, nette et vive, à la fois naturelle et théâtrale, on ne saurait en tenir trop de compte : l’auteur d’une telle scène est un écrivain dramatique, il possède la maîtrise de son art ; s’il néglige, par la suite, certaines coutumes du lieu où il se produit, c’est de parti-pris qu’il faudra l’accuser, non d’ignorance ni d’impuissance.

Une femme rentre chez elle à pas rapides, une lettre à la main ; elle ouvre un buvard sur une table, elle y cache cette lettre ; un homme se précipite, elle feint de fermer un secrétaire. « Ouvrez ce secrétaire ! fait l’homme, et donnez-moi cette lettre. » Elle refuse : débat serré entre la jalousie de l’homme et l’assurance de la femme ; assaut qui rappelle, sans l’imiter, celui de Me André contre Jacqueline au début de ce chef-d’œuvre, le Chandelier. « Allons en justice ! » s’écrie Jacqueline après ses dénégations, et Me André s’apaise. De même celle-ci livre ses clés : « Ouvrez vous-même, dit-elle, mais si vous touchez ces clefs du bout des doigts, ce n’est pas moi qui le regretterai, ce sera vous. — Reprenez vos clés, » fait l’homme ; et, dompté par l’assurance de la femme, il écoule sa colère dans un sermon : « Pensez à moi, Clotilde, et pensez à vous. Dites-vous qu’une imprudence est bien vite commise et qu’elle ne se répare jamais… En me restant fidèle, vous restez digne et honorable ; .. le jour où vous me tromperiez… — Prenez garde, interrompt Clotilde, voilà mon mari ! »

C’est pour le mari que nous le prenions, ce sermonnaire jaloux. Et qu’est-il, en effet, sinon un mari adjoint ? Il veut l’être, il l’est ; lui et sa maîtresse sont d’accord là-dessus. Que cherchait-il ? Non les orages de la passion, mais, — il en convient lui-même, — « une affection paisible et désintéressée. » Et elle ? Écoutez sa profession de foi, ou plutôt d’infidélité : « J’avais un mari, des enfans, un intérieur adorable, j’ai voulu plus, j’ai voulu tout. » Ce n’est pas ceci qu’elle a entendu sacrifier à cela ; hé ! qui lui demandait ce sacrifice ? Elle a prétendu tout concilier ; elle a rêvé une existence où « ses devoirs seraient remplis » sans que son cœur fût vide ; lui, Lafont, s’est accommodé de cette existence, et le rêve de Clotilde, femme Dumesnil, s’est accompli. Elle le déclare en mots exprès, alors qu’elle croit, pour un moment, avoir perdu ce