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Il saute en selle, sans toucher l’étrier, sur un cheval fougueux, devant une belle personne qu’il voit pour la première fois et devant un rival. Après trois mois, il sauve un terre-neuve, le favori de cette belle personne, et il rapporte le fin mouchoir que ce terre-neuve était allé vainement chercher. Il saute par la fenêtre, — et de quelle fenêtre ! — du haut d’une tour, pour se justifier aux yeux de sa maîtresse. O Sainte-Beuve ! les Causeries du lundi, pour ce cheval ! Les Portraits littéraires pour ce terre-neuve ! Port-Royal pour ce saut ! Qui de nous n’a rêvé de telles prouesses ? Maxime Odiot, marquis de Champcey, les accomplit pour nous, ou plutôt il nous permet de les accomplir avec lui. Médiocres écuyers, mauvais sauveteurs, piteux sauteurs, nous ne sommes pourtant ni d’une race de culs-de-jatte ni d’une race de manchots ou de paralytiques : nous concevons que nous puissions nous illustrer par de tels exploits, nous le désirons. Avec Maxime Odiot, ce désir devient hallucination ; avec lui nous épousons l’idéale fiancée à qui sont dédiés nos rêves ; avec lui nous sommes heureux.

Mais ce bonheur qui devient nôtre, il n’est pas seulement nécessaire : il est mérité. Maxime Odiot ne le tient pas seulement des dons que la fantaisie de l’auteur lui a faits ni des événemens qu’elle a suscités en sa faveur ; du moins, les principaux de ces événemens ne sont que des signaux pour sa volonté de combattre les intérêts de sa passion. Par là, derechef, l’ouvrage fameux de M. Feuillet me semble une féerie, mais une féerie intime, de la plus délicate espèce, dont le cœur humain est le théâtre. Qu’est-ce qu’une féerie encore, sinon la lutte de deux pouvoir ? , l’un bon, l’autre mauvais, qui se termine par la victoire du bon ? Qu’un génie malfaisant soit aux prises avec une fée bénigne, et que le sortilège de l’un, à la fin, soit déjoué par le talisman de l’autre, ou que des démons contraires se disputent une âme et que le meilleur en reste le maître, n’est-ce pas toujours une féerie ? La fiction de M. Feuillet, selon ce nouveau sens, demeure féerie, et dans le livre aussi bien que sur la scène ; sous l’une et l’autre forme, elle est à la fois un roman et un drame, et quel drame ! Combien de reprises de ce duel moral avant que l’honneur soit satisfait ! Maxime Odiot trouve son patrimoine détruit : il refuse de rien tirer de sa ruine aux dépens des créanciers de son père. Il aime une fille riche : il se défend de laisser grandir cet amour. Il ne peut l’étouffer pourtant : il s’interdit de le découvrir. Elle le découvre, ce sentiment caché, elle l’accuse d’intérêt ; il le justifie en déclarant à cette injurieuse fille qu’il ne l’acceptera jamais pour femme, lui pauvre, elle riche. Il rencontre un moyen de s’enrichir et de l’appauvrir d’un coup, un moyen légitime et qui ne serait que de reprendre son bien : il le rejette ; périsse son bonheur, plutôt que d’être dû à l’humiliation de celle qu’il aime ! Elle, de son côté, ne sent guère de moins rudes combats : une défiance orgueilleuse lutte dans son cœur avec l’amour. Marguerite Laroque se