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manière directe ou indirecte un surcroît de ressources d’impôts devant équilibrer l’intérêt des emprunts successifs qu’ils nécessitent.

Ces conditions sont-elles remplies par les entreprises qui s’exécutent en ce moment ? Le doute est tout au moins permis pour le plus grand nombre, et l’on doit se demander quelle peut être l’utilité publique, quels seront les avantages généraux de tant de travaux de chemins de fer, de fragmens de canaux, d’ébauches de ports de mer, dont les chantiers disséminés dans tous les coins de notre territoire ont été déterminés par des influences électorales plus que par les vues d’ensemble d’un programme bien réfléchi.

On nous a dit que les travaux publics devaient avoir pour but de constituer notre outillage industriel ; mais, pour l’usine nationale comme pour l’usine privée, l’outillage industriel n’a rien de fixe et d’immuable ; il est essentiellement perfectible et changeant. L’industriel intelligent ne doit pas oublier cette loi du progrès. La prévoyance ne doit pas consister pour lui à réparer ses vieilles machines, à encombrer ses ateliers d’outils construits sur le même type, mais à se tenir au courant des progrès réalisés dans son industrie particulière, à les devancer, s’il le peut, en renouvelant de temps à autre son outillage, sans hésiter à mettre au rebut des engins surannés pour les remplacer par ceux qui, à moins de frais, pourront lui fournir un travail meilleur.

Ainsi devraient se faire les choses dans l’outillage national, considéré suivant la définition officielle comme comprenant surtout l’ensemble de nos voies et engins de transport. Les machines à vapeur, et plus encore les chemins de fer, ont amené des modifications tout aussi considérables dans le principe des voies de communication que les progrès de la science mécanique dans les procédés de telle ou telle industrie.

Les rivières canalisées, les canaux à point de partage, qui, il y a cinquante ans, constituaient pour nous la suprême expression du progrès économique, sont aujourd’hui aussi arriérés, aussi déplacés dans notre outillage national que pourrait l’être le rouet d’une fileuse du siècle dernier dans l’atelier d’un fabricant de Rouen ou de Roubaix. Avant d’établir à si grands frais de nouvelles voies de cette nature, ne devrait-on pas se demander ce que valent et rapportent celles qui existent déjà, quels sont les revenus directs ou indirects que peuvent donner de nos jours nos canaux de jonction du Centre, de la Bourgogne ou de la Bretagne, quels services réels rendent nos rivières canalisées à si grands frais, qu’elles s’appellent Garonne, Lot ou Rhône ? A cet égard, la réponse ne saurait être douteuse. Aucune de ces entreprises ne suffit à couvrir ses frais