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canaux maritimes analogues à celui que j’indique, on aura accumulé et déplacé cette force mécanique, aménagé cette houille liquide, pour la rendre directement disponible, à portée de nos grands centres de population et d’industrie !

Les machines hydrauliques, plus massives, moins délicates dans leurs organes que les machines à vapeur, coûtent moins en frais de premier établissement et d’entretien. Ces dernières consomment, en outre, une quantité de charbon qui, dans les conditions industrielles ordinaires, ne représente guère moins de 2 ou 3 kilogrammes par heure et par cheval, soit environ 20 tonnes pour un travail annuel continu. De ce chef, la substitution d’une machine hydraulique à une machine à vapeur constitue une économie de plus de 500 francs par an en frais de combustible. Chaque mètre de chute rendue disponible aux écluses d’un canal ayant un débit de 120 mètres cubes, tel que celui dont nous venons de reconnaître l’utilité, équivaut donc à 1,600 chevaux-vapeur et à une valeur de houille de 800,000 fr. par an.

On m’objectera peut-être que les deux termes de comparaison ne sont pas identiques : la houille, en même temps que la force motrice, fournit la chaleur à l’industrie, et de plus, pouvant s’emmagasiner, se conserver à l’état concret, elle se prête mieux aux inégalités et au chômage du travail industriel que ne pourrait le faire la force motrice uniforme et continue d’une chute d’eau.

Cette dernière objection ne saurait s’appliquer aux machines les plus puissantes, qui d’ordinaire fournissent un travail régulier et continu. Tel serait, en particulier, le cas des appareils élévateurs qui serviraient à alimenter les canaux d’arrosage des hauts services. Mais, même pour le cas des moteurs industriels usités dans nos manufactures, qui ne fonctionnent pas d’une manière continue, rien ne serait plus facile que de répartir à volonté sur les diverses heures de la journée le travail hydraulique qui leur serait nécessaire, en disposant à cet effet des immenses biefs du grand canal maritime, qui pourraient fonctionner comme réservoirs régulateurs de la force motrice.

Avec sa largeur en gueule de 70 mètres et une longueur de 200 kilomètres environ, le canal dérivé du Rhône sur la rive droite, tel que je vais le décrire, représenterait, dans l’ensemble de ses biefs successifs, une superficie de 14 millions de mètres carrés. L’apport journalier d’un débit de 120 mètres cubes à la seconde, réparti sur cette vaste surface, ne correspondrait qu’à une lame d’eau de 0m, 70 d’épaisseur. Avec une variation de niveau moitié de ce chiffre, soit 0m, 35, on pourrait au besoin emmagasiner toute l’eau fournie pendant douze heures de nuit, pour en reporter la consommation sur douze heures de jour.