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III

Les diverses parties du programme tracé au début de cette étude sont tellement liées l’une à l’autre dans leur enchaînement qu’il ne m’a pas été possible de les traiter aussi distinctement que je l’aurais voulu. En exposant la question aux points de vue de l’agriculture et de la navigation, j’ai été si naturellement amené à parler de l’utilisation des forces motrices qu’il ne me reste pour ainsi dire plus qu’à compléter les premières indications fournies sur ce sujet.

La force motrice des eaux courantes qui, Avant l’emploi de la houille, constituait à peu près notre seul moteur industriel, n’est utilisée que dans une proportion insignifiante. Cette force est immense, cent fois supérieure peut-être à la puissance actuellement réunie de toutes nos machines à vapeur, qui ne représente pas un travail continu de plus de 500,000 à 600,000 chevaux-vapeur, équivalent de la combustion annuelle de 10 à 12 millions de tonnes de houille. En comptant en moyenne un écoulement annuel de 500 litres d’eau pluviale par mètre carré de notre territoire, avec une chute moyenne de 500 mètres, la totalité de nos forces hydrauliques représente une puissance mécanique de plus de 50 millions de chevaux.

Le Rhône seul, avec son débit moyen de 3,000 mètres cubes, et une altitude qu’on ne saurait porter à moins de 800 mètres pour l’ensemble de ses torrens alimentaires, figure pour près de moitié dans ce chiffre total. Dans son état d’étiage, avec un débit réduit de 400 mètres cubes et une altitude de 400 mètres, qui est celle du lac de Genève, sa puissance hydraulique régulière et permanente équivaut encore à 2 millions de chevaux, trois ou quatre fois supérieure à celle.de tous nos moteurs à vapeur.

La majeure partie de cette force colossale est et restera peut-être longtemps encore sans emploi. Au lieu de diriger et d’utiliser l’action géologique intermittente des torrens de montagnes, nous nous efforçons de la combattre à grands frais et sans grands résultats, et quant à la force industrielle des eaux d’étiage, son utilisation se réduit le plus souvent à la mise en jeu, de quelques misérables moulins disséminés dans des gorges lointaines et inaccessibles.

J’ai exposé dans mon projet de fertilisation des Landes quels magnifiques résultats nous pourrions obtenir, à peu de frais, en régularisant et mettant à profit une infime partie du travail géologique que les torrens livrés à eux-mêmes exécutent déjà.