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française et la langue anglaise, sont traitées sur un pied d’égalité parfaite. (Cette dernière, qui se composait de sept membres, a eu le rare désintéressement de se dissoudre elle-même pour alléger les dépenses de l’état.) De plus, la confédération prenait à sa charge la majeure partie des dépenses provinciales jusqu’à ce que la population comptât au moins 400,000 âmes. Aujourd’hui, les Manitobains envoient au parlement deux sénateurs et cinq députés ; Winnipeg, la Ville-Champignon, compte 30,000 habitans ; la valeur de la propriété s’y accroît d’une façon extraordinaire. On peut en juger par cette anecdote : il y a douze ans, un paroissien de l’archevêque Taché, contraint de quitter le pays, vient le trouver, et, s’excusant de ne pouvoir payer son banc à l’église, lui offre, pour acquitter sa dette, un petit morceau de terrain dans Saint-Boniface : « A peine de quoi payer une messe basse, » ajoute timidement le brave homme. L’archevêque accepte : dix ans après, le terrain se revendait 130,000 francs.

Malgré les dépenses considérables occasionnées par les chemins de fer et les canaux, les habitans du Dominion sont peut-être, parmi les contribuables du monde civilisé, ceux qui paient le moins d’impôts. Point d’armée permanente, donc pas de budget de la guerre, une simple milice d’environ 50,000 volontaires, qui se triplerait ou se quintuplerait demain s’il survenait une collision avec les États-Unis. Les recettes du budget fédéral de 1884 atteignent le chiffre de 36,800,000 piastres environ, la dépense ne dépasse pas 28,730,157 piastres, soit un excédent de 8 millions. Le 29 février 1884, M. S.-L. Tilley, ministre des finances, apportait son projet de budget pour l’exercice 1885 : dépenses, 29,811,639 piastres, revenus, 31 millions, qui se décomposent de la sorte : douanes, 20,000,000 ; accise, 5,500,000 ; postes, 1,900,000 ; travaux publics, 3,000,000 ; intérêts sur placemens, 750,000 ; autres sources, 800,000. L’impôt foncier continue à rester inconnu dans cet eldorado économique, et, chose non moins étonnante, les évaluations ministérielles n’ont rien d’exagéré, puisqu’au 30 septembre dernier l’état des recettes accusait un excédent de 10 millions de francs. Dans ces candides et enviables budgets, les douanes figurent pour les deux tiers du revenu total : les Canadiens n’ont pas hésité à adopter en 1880 un régime très énergique, qui, sans distinction, frappe les produits anglais comme les autres ; au reste, par l’organe du marquis de Lorne, la métropole leur a reconnu le droit de conclure des traités de commerce avec les pays étrangers[1]. La seule différence qui, sous ce rapport, existe entre les

  1. Il y a environ deux ans, un homme d’état canadien français vint à Paris pour négocier un traité de réciprocité commerciale. M. Chapleau avait adressé à M. Jules Ferry une lettre où il invoquait « la communauté d’origine et de religion. » Quelqu’un, auquel il l’avait lue, lui fit observer qu’il eût mieux valu biffer le mot religion quand on s’adressait à des gens qui lui ont déclaré la guerre. Sous prétendre qu’un sentiment sectaire ait entraîna l’échec d’un traité avantageux au deux pays, il est permis de regretter que M. Chapleau n’ait pas rempli la mission dont il avait tant de motifs d’espérer le succès.