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car deux circonscriptions du Manitoba et de la Colombie anglaise se disputèrent l’honneur d’avoir pour député le premier ministre. Très curieux d’ailleurs le mécanisme électoral du Dominion. La bataille s’engage par une cérémonie légale qu’on appelle la nomination ou mise en candidature, et qui a pour but de déterminer d’avance, d’une manière invariable, le chiffre des compétiteurs : cette présentation des candidats a lieu dans un édifice public, entre midi et deux heures, au moyen d’une déclaration signée de vingt-cinq électeurs et du dépôt d’une somme de 50 piastres ; souvent les rivaux conviennent d’une réunion générale où se débattent les conditions de la lutte. A la différence des meetings anglais, savamment, confortablement organisés, comme une séance de la chambre, où l’on discute les questions du jour à grand renfort de chiffres, d’argumens solides, de détails minutieux, l’assemblée populaire française se tient le dimanche, sur le préau de l’église, à la sortie de la messe, et dure dans chaque paroisse de midi à six heures, sans autre interruption que les vêpres. Chaque candidat a deux ou quatre orateurs qui chantent tour à tour ses vertus, les défauts de son adversaire, sans jamais lasser l’habitant (c’est le nom que prend le paysan canadien). Pour lui, la politique remplace le théâtre, il y cherche avant tout un plaisir intellectuel, se montre plus sensible à la rhétorique qu’au raisonnement et fait plus de cas d’un élan d’éloquence que d’une bonne démonstration économique. Quelquefois il se laisse influencer par des raisons assez originales, et on rapporte l’exemple d’un candidat battu parce qu’il n’avait pas d’enfans. Un brave citoyen lui avait lancé ce syllogisme triomphant : « Nous avons tous beaucoup d’enfans et nous voulons que notre député s’occupe de leur avenir ; or, vous n’en avez pas, donc vous ne comprendriez pas la nécessité de vous en occuper, et nous ne voterons pas pour vous. »

Le jour du scrutin venu, l’électeur entre seul dans la salle des votes, il y donne son nom et on lui remet un bulletin paraphé avec une enveloppe qu’il ne peut emporter dehors sous peine d’une forte amende : ce bulletin contient les noms des candidats présentés. Il fait une croix vis-à-vis de celui qu’il préfère, renferme le papier dans l’enveloppe et le remet à l’officier rapporteur qui le dépose dans l’urne en sa présence. Il n’y a pas de scrutin de ballottage. Toute contestation d’une élection fédérale ressortit à la cour supérieure du district judiciaire où elle a eu lieu, sauf appel à la cour suprême. Les drapeaux, les rubans, les cocardes sont sévèrement prohibés, les auberges doivent rester fermées un jour d’élection ; mais c’est en vain que la loi prodigue les pénalités, les fraudes n’en vont pas moins leur train et les élections coûtent fort cher, 5 ou 6,000 piastres, soit en moyenne de 20 à 25,000 francs. De là la