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persistant n’amenât la même crise qui menaçait d’éclater entre le Nord et le Sud des États-Unis ? M. George Brown et les libéraux Clear Grits firent grand bruit à ce sujet : protestations, réunions, bannières ornées de la devise : Rep. by pop., par abréviation de Représentation by population, pamphlets protestans de tout genre contre les descendans des Gaulois, contre les catholiques romains, dépeints comme une race inférieure vouée au sort des Iroquois et des Peaux-Rouges, rien ne manqua à l’agitation. À ces argumens léonins les orateurs du Bas-Canada, les premiers ministres, MM. Mac-Donald et Cartier, opposaient force raisons décisives : l’union accomplie dans la pensée formelle que l’égalité serait maintenue, l’exemple de l’Angleterre où, loin d’accepter la représentation des hommes seulement, on avait toujours tenu compte des intérêts, de la propriété, des classes de la société ; dans une certaine mesure celui des États-Unis, où les grands états n’ont pas plus de sénateurs que les petits. Une fois la représentation fondée sur le nombre, il n’y avait qu’un saut à exécuter pour tomber dans le suffrage universel. Le Bas-Canada faisait-il autre chose que se maintenir sur le terrain de la légitime défense et pouvait-on citer un seul exemple de domination française ?

Le conflit s’aggravait chaque année et menaçait de s’éterniser, car les partis se balançaient dans le parlement au point qu’une seule voix pouvait décider du sort d’une administration. Depuis longtemps, la presse, les publicistes indiquaient comme remède l’union des provinces britanniques de l’Amérique du Nord, et, dès 1858, MM. Cartier et Mac-Donald l’avaient fait entrer dans leurs programmes : des pourparlers furent entamés, mais les provinces maritimes ayant montré peu d’empressement, les négociations traînèrent en longueur. En 1864, le danger d’une scission, la faiblesse des cabinets qui se succédaient rapidement, des élections générales répétées firent comprendre aux hommes politiques la nécessité de sortir de cette impasse. La guerre de sécession aux États-Unis, alors dans toute son intensité, la possibilité d’une rupture de l’Angleterre avec cette république, la menace de l’abrogation des traités de réciprocité avec les Américains, les espérances d’annexion bruyamment affirmées par leurs journaux et leurs politiciens, la nécessité de se défendre soi-même, puisque la métropole laissait ce soin aux colonies, tout concourait à pousser celles-ci vers un rapprochement. Ne devaient-elles, pas en retirer les plus grands avantages commerciaux et politiques ? Grâce aux provinces maritimes, le Canada ne se trouverait plus emprisonné en quelque sorte pendant cinq mois dans les glaces ; il aurait des ports de mer ouverts toute l’année, l’outillage d’une nation forte, capable de faire face à son ambitieux voisin et de se passer de lui. Tandis qu’elles