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recourir à la force : déjà, dans leurs réunions, ils avaient brûlé M. La Fontaine en effigie et fait appel à la foule ; déjà leurs journaux proclamaient que le défi était jeté et qu’il fallait que l’une des deux races disparût du Canada. Au rebours de certain personnage de la république de 1848, ces ultras font du désordre avec de l’ordre ; le 25 avril, lorsque lord Elgin sort de l’assemblée, où il vient de sanctionner l’acte d’indemnité, les Anglais de Montréal l’insultent, lui lancent des œufs pourris et des pierres. Le soir, ils se rendent au parlement, assiègent l’édifice, font pleuvoir dans la salle une grêle de pierres et de balles, entrent comme des furieux, brisent les pupitres, les fauteuils, s’emparent de la masse, proclament la dissolution. Au milieu de cette confusion, le président, M. Morin, donna un bel exemple de courage civique. Comme les représentans cherchaient à sortir pêle-mêle, il se leva, dit de sa voix la plus calme : Order, order, gentlemen ! et se rassit, en observant qu’il n’y avait pas de motion pour lever la séance. Un instant après, le cri : « Au feu ! » retentit, et le palais, avec ses archives, la bibliothèque, deviennent la proie des flammes. La ville de Montréal reste plusieurs jours à la merci de la populace, qui saccage, incendie les maisons de M. La Fontaine et des principaux libéraux. Les loyaux de 1849 n’avaient plus rien à reprocher aux patriotes de 1837, et, pour mieux accentuer leur complicité avec les émeutiers, sir Allan Mac-Nab, pendant la discussion de l’adresse, ne craignit pas de les justifier en ces termes : « Le ministère a proclamé que la loyauté était une farce, que l’insurrection était permise ; il recueille maintenant le fruit de ses doctrines. »

Les ultras demandèrent le rappel de lord Elgin, formèrent une association sous le titre de Ligue britannique de l’Amérique du Nord ; plusieurs même en vinrent à réclamer la séparation d’avec la métropole et s’unirent aux libéraux avancés, qui, sous la conduite de M. Joseph Papineau, battaient en brèche le ministère. Le patriote de 1838 avait vécu aux États-Unis et en France, il avait fréquenté Béranger, Cormenin, La Mennais et s’était enfoncé dans ses idées radicales ; rentré au Canada en 1847, il semblait, à son tour, n’avoir rien appris, rien oublié, rapportait les illusions, les rancunes d’un émigré ; et son premier discours parut une page détachée d’une harangue de 1836. Ce Lafayette canadien, qui, lui aussi, s’enivrait de la délicieuse sensation du sourire de la multitude, persistait à oublier que, si les passions sont les seuls orateurs qui persuadent aisément la foule, la politique n’est pas une géométrie, mais une hygiène qui s’applique, qu’elle se fait non avec le cœur, le ressentiment et l’enthousiasme, mais avec le cerveau, la prévoyance et la réflexion. Ne comprenant