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sur les lèvres, nous n’en faisons pas un trafic. Nous sommes dans nos habitudes, par nos lois, par notre religion, monarchistes et conservateurs… Traitez-nous comme les enfans d’une même mère et non comme des bâtards ; un peu plus de justice égale, non dans les mots, mais dans les actes, et je réponds que, si jamais ce pays cesse un jour d’être britannique, le dernier coup de canon tiré pour le maintien de la puissance anglaise en Amérique le sera par un bras canadien. » Il y a quelque temps, M. Joseph Marmette m’expliquait la pensée intime de ses compatriotes par cette réflexion humoristique qui peut servir de conclusion au discours du docteur Taché : « Nous aimons la France comme une mère ; nous considérions autrefois l’Angleterre comme une marâtre, aujourd’hui nous l’estimons comme une excellente belle-mère. » Heureuses les belles-mères qui rencontrent des gendres assez raisonnables pour ne demander que la justice et risquer leur vie dans l’espoir de les adoucir !

Vers la fin de 1847, le ministère Viger-Draper se disloquait visiblement ; ses chefs disparaissaient les uns après les autres ; diverses tentatives pour lui infuser un sang nouveau restaient infructueuses, et il n’avait obtenu qu’une majorité de deux voix à la chambre. Lord Elgin, un des meilleurs gouverneurs qu’ait eus le Canada, en appela aux électeurs, qui donnèrent une forte majorité au parti libéral dans les deux provinces, et, bientôt après, MM. Baldwin et La Fontaine rentraient triomphalement aux affaires. Leur avènement fut signalé par d’importantes mesures, parmi lesquelles le projet qui consacrait une somme de 100,000 piastres au paiement des dommages causés en 1837-1838 « par la destruction injuste, inutile ou malicieuse des habitations, édifices et propriétés des habitans, et par la saisie, le vol ou l’enlèvement de leurs biens et effets. » Déjà le Haut-Canada avait reçu une indemnité en 1845, et il semblait tout naturel de l’accorder au Bas-Canada, de purger l’hypothèque morale qui pesait en quelque sorte sur l’acte d’union ; mais les conservateurs crurent que cette question allait leur offrir un moyen de ressaisir l’influence perdue, et ils se déchaînèrent avec une extrême violence contre le cabinet. Tandis que sir Allan Mac-Nab traitait les Canadiens français de rebelles et d’étrangers, M. Sherwood déclara qu’il ne connaissait rien de si abominable que de s’adresser à ceux qui ont pris les armes pour la défense de leur pays, et parmi lesquels un grand nombre ont perdu leurs proches, pour récompenser ceux qui furent la cause de meurtres et de l’effusion du sang. Les partisans de la mesure répliquèrent sur le même ton, et, comme, après des séances très orageuses, le projet avait obtenu une majorité considérable, ses adversaires résolurent de