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de choisir pour sujet de son travail tout ce qui demande du temps et de la tranquillité. » Heureux du moins si le besoin d’argent, dans cette première fougue de la liberté reconquise, plutôt encore que de la jeunesse, ne l’avait entraîné à rien de plus fâcheux qu’à composer ses longs romans, ou traduire de l’anglais l’Histoire métallique des Pays-Bas ! Mais il semble bien que la nécessité de vivre, jointe à son goût pour le vin, disent les uns t pour les femmes, disent les autres, l’aurait une ou deux fois jeté dans les plus cruelles aventures. Moins bonhomme qu’on ne l’a dit, Prévost avait la conscience large… N’insistons pas, — de peur de faire trop de peine à ceux qui l’ont assis dans le « quarante et unième » fauteuil de l’Académie française. Et plutôt, imitant la réserve de Sainte-Beuve, contentons-nous de renvoyer les curieux aux Mélanges de Bois-Jourdain.

Nous ne sommes pas tenus de la même discrétion sur ses amours. Un désespoir d’amour l’avait jeté dans le cloître, un besoin vague et général d’aimer l’en avait fait sortir. « Qu’on a de peine, a-t-il dit lui-même, à reprendre quelque vigueur quand on s’est fait une habitude de sa faiblesse, et qu’il en coûte à combattre pour la victoire quand on a trouvé longtemps de la douceur à se laisser vaincre ! » Il était donc à peine installé à La Haye qu’il y faisait la connaissance d’une aventurière, qu’il a quelque part essayé de transformer en une « demoiselle de mérite et de naissance, » mais qui parait bien avoir été de la pire et plus redoutable espèce. Mettrai-je ici son nom et son histoire ? Il suffira de dire qu’après avoir éloigné de lui ce qu’il s’était fait d’amis parmi les Français de Hollande, ce fut elle, selon toute apparence, qui l’obligea de quitter La Haye pour repasser en Angleterre. S’il avait peut-être cru que les réfugiés de Londres, qu’il avait peu vus lors de son premier séjour, le recevraient à bras ouverts, lui et sa demoiselle, son erreur ne fut pas longue et la déception lui fut vive. Nous en avons un curieux témoignage dans l’un de ses ouvrages les plus oubliés, les Mémoires de M. de Montcal, qui peuvent servir à compléter les confessions ébauchées dans les Aventures d’un homme de qualité ; une partie de la vie de Prévost est écrite dans ses ouvrages. « Il y a peu de gens d’un caractère aussi critique, fait-il dire par M. de Montcal, que les protestans français d’Angleterre. Le zèle de la religion, qui leur a fait quitter leur patrie, les rend impitoyables pour le relâchement de la morale, et, sans m’être jamais donné la peine d’examiner si ceux qui étaient si peu capables de supporter le désordre dans autrui en étaient aussi exempts qu’ils exigeaient qu’on le parût dans leur société, j’avais reconnu par quantité d’exemples qu’on s’attirait leur haine en, choquant leurs principes. »