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Elle secoue la chemise pour en faire choir les poux ; — 12e temps, Elle revêt la chemise ; — 13e temps. Elle prend en main le capot ; — 14e temps. Elle secoue le capot ; — 15e temps. Elle revêt le capot ; — 16e temps. Elle prend le bonnet ; — 17e temps. Elle le secoue ; — 18e temps. Elle le met en tête.

« Le comité, nous apprend Jean-Jacques Bouchard avec cette fidélité minutieuse qui le caractérise, se promène par la coursie, regardant si quelqu’un manque ou feint de tirer, et lors, il le redresse avec son cercle ou avec son gourdin ; et ne bat pas seulement celui qui manque, mais encore les quatre autres du même banc. Il y en a quelquefois de si opiniâtres qu’ils se laissent écorcher tout le dos plutôt que de tirer. Quand c’est à quelque rencontre d’importance, l’on ne se sert pas seulement du bâton, mais encore de l’épée… Là se voit toute la misère, ordure, saleté, puanteur et infirmité humaine… Il n’y a jour qu’il n’y meure quelqu’un… » — « Il ne faut jamais aller là-dedans, ajoute le prudent voyageur, qu’avec quelque officier, car, autrement, les forçats vous font mille niches : entre autres, ils soufflent des cornets pleins de poux sur les habits… Le moins qu’ils puissent faire, c’est de vous ôter vos éperons, sous prétexte que la galère marche assez vite d’elle-même. »

Nous rencontrons ici l’immortel soldat de Lépante complètement d’accord avec l’auteur du Voyage de Paris à Rome. Quand don Quichotte monte à bord de la galère du comte de Elda, toute la chiourme le salue de trois acclamations : debout sur l’espalle, le comte tend la main au chevalier, l’embrasse, le conduit sous la poupe et le lait asseoir, ainsi que son fidèle Achate, sur les bandins. Toute cette belle courtoisie n’est qu’un piège : le comte s’est promis de faire aux deux singuliers personnages qui ont en ce moment le privilège d’occuper sans partage l’attention publique une réception dont l’un et l’autre garderont certainement le souvenir toute leur vie. Le bon Sancho se trouvait à portée de bras du vogue-avant de la bande droite. Cet espalier, à qui on avait donné le mot, saisit tout à coup l’honnête écuyer par le pourpoint et l’enlève comme une plume. Avant que Sancho ait pu se reconnaître, le rameur du second banc l’a reçu des mains de l’espalier ; il le transmet, avec la même prestesse, au forçat placé derrière lui. Sancho voltige de banc en banc jusqu’à la conille. Les forçats de la bande droite le jettent alors aux forçats de la bande gauche ; Sancho, en un clin d’œil, se voit ramené à l’entrée de la poupe. Il retombe sur l’espalle, haletant, étourdi, trempé de sueur et tout moulu de son voyage aérien. Le comte de Elda n’a pas sourcillé ; chacun, à son exemple, garde le plus imperturbable sang-froid ; don Quichotte seul n’a pu s’empêcher de manifester quelque étonnement. À la vue de Sancho volant si bien sans ailes, il se tourne vers le